La question esthétique du mélange de signes de ponctuation romains et italiques n’est pas à réserver à « l’homme de goût » (Daupeley-Gouverneur) ou à « quelques lecteurs vétilleux » (Lacroux)… Il suffit de s’y intéresser un peu. Comparons deux polices, Garamond et Cambria :
On constate aisément que la rupture de style que constitue le point-virgule romain entre deux mots en italique est plus nette dans une police très cursive comme le Garamond.
On note aussi que le point italique en Cambria est bien dessiné en oblique, contrairement au point romain (ce n’est donc pas toujours « kif-kif »).
De plus, le point italique est placé légèrement plus près du t que le point romain (voir l’exemple en Garamond ci-contre).
Je pensais confusément que l’exception dont fait souvent l’objet la virgule (ainsi que le point et les points de suspension, mais ils se remarquent moins) tenait au fait qu’elle est collée au mot précédent et « accompagne » son mouvement, en quelque sorte. Mais je n’ai pas trouvé confirmation de cette hypothèse. D’abord, parce que les typographes ont longtemps mis de l’espace avant la virgule (lire Espacement de la ponctuation en français) ; ensuite, parce que l’usage différait selon les imprimeurs (voire selon leurs différents compositeurs ?) ou parfois même à l’intérieur d’un ouvrage.
Quelques exemples
Dans le manuel de A. Frey (18351), la ponctuation, qu’elle soit haute ou basse, reste en romain après des mots en italique :
Chez Jules Claye (18742), la ponctuation est oblique quand le texte qui précède est oblique.
À la même époque, on trouve à la fois des virgules romaines chez Littré :
et des signes de ponctuation italiques (ici, un point-virgule) chez Flaubert :
Une règle, enfin
C’est chez G. Daupeley-Gouverneur (18803) que j’ai trouvé une première mention de la règle encore mentionnée dans notre vieux Code typographique4 : « La ponctuation, quelle qu’elle soit, doit être romaine après le romain, italique après l’italique. »
Lui-même admet déjà répondre en premier lieu à un objectif esthétique. « La règle qui nous occupe est, dit-il, une de celles qui ont pour objet la satisfaction du coup d’œil ; mais elle ne s’accorde pas toujours avec la raison […] », et il est « forcé d’admettre une exception en faveur des textes traitant spécialement de linguistique […] dans lesquels l’italique vise presque toujours uniquement les mots à l’exclusion de la ponctuation ».
Malgré tout, il souhaiterait voir sa règle unanimement appliquée :
En ce qui concerne l’emploi des virgules italiques, il règne malheureusement, dans la plupart des imprimeries, pour ne pas dire dans toutes, une trop grande indifférence de la part du compositeur. L’expérience nous prouve tous les jours combien il est difficile d’atteindre ici la perfection. Le mélange des virgules italiques et des virgules romaines est, nous le savons, un détail qui paraît bien minutieux aux gens qui ne sont pas du métier, mais il fera toujours la désolation de l’homme de goût. L’observation de la règle sur ce point a pour nous une réelle importance, parce que l’écueil est à chaque pas, parce qu’il ne se présente que deux chemins également faciles à suivre, l’un bon, l’autre mauvais, et que le choix de l’un ou de l’autre est trop souvent soumis aux caprices du hasard, source d’un désordre perpétuel.
Un remède oublié
Grâce à lui, j’ai découvert qu’une solution originale – et perdue depuis – a été imaginée à son époque :
C’est la difficulté d’obvier à ce mélange qui a fait adopter depuis quelque temps, dans certaines fontes, un genre de virgules mixtes, dont l’œil n’est ni tout à fait romain, ni tout à fait italique. Nous approuvons fort ce système, qui, n’ayant rien de choquant en lui-même, a l’immense avantage de parer à l’inconvénient que nous signalons.
Dans une note, il affirme : « La septième édition du Dictionnaire de l’Académie (1877) [sic, 1878] a été composée entièrement avec des virgules mixtes. » Cela a piqué ma curiosité, qui s’est trouvée en partie déçue, car dès la définition du mot virgule j’ai trouvé un mélange de styles :
Pour ma part, afin d’éviter les « caprices du hasard » et le « désordre perpétuel », je recommande, contrairement à Daupeley-Gouverneur, de laisser la ponctuation dans le style du texte principal. La « satisfaction de l’œil », en soi déjà discutable (car si une virgule italique est en cohérence avec le texte italique qui précède, elle est incohérente avec le romain qui suit), me paraît ici moins importante que la rigueur du sens communiqué par la typographie.
☞ Lire aussi l’article principal sur ce sujet : La virgule qui suit de l’italique doit-elle être en italique ?
- Frey, A., Manuel nouveau de typographie, Ire partie, Paris, Librairie encyclopédique de Roret, 1835, p. 259.
- Claye, Jules, Manuel de l’apprenti compositeur : typographie (2e édition revue, corrigée et augmentée), Paris, J. Claye, imprimeur-libraire, 1874, p. 15.
- Daupeley-Gouverneur, G., Le Compositeur et le Correcteur typographes, Paris, Librairie Rouvier et Logeat, 1880, p. 120-122.
- Fédération C.G.C. de la communication, 15e éd., 1986, § 105, p. 108.