Tombant sur cet accord de l’adjectif banal sous la plume de Marcel Cressot (Le Style et ses techniques, PUF, 1947, accord maintenu dans l’édition « mise à jour » par Laurence James en 1983, p. 16), je repense à ce jour où, ayant un instant hésité dans une conversation entre banals et banaux, je m’étais fait taquiner par un ami. Avais-je tout à fait tort ?
Concernant le sens figuré1, « Qui est extrêmement commun, sans originalité », je lis dans Le Grand Robert : « Plur. : banals ; exceptionnellement, banaux. » Pluriel exceptionnel mais pas fautif, apparemment.
Chez Hanse et Blampain, je lis aussi : « […] au sens figuré, courant, il fait généralement banals ; des compliments banals. Mais banaux se répand [en 2012, date de leur ouvrage ? Affirmation étonnante] ; beaucoup hésitent à employer le pluriel. »
Poursuivons notre recherche sur le site de l’Académie2…
L’adjectif final fait ordinairement finals au masculin pluriel, mais on rencontre aussi finaux, notamment en linguistique et en économie. On observe le même phénomène avec banal, dont le masculin pluriel, ordinairement banals (des compliments banals), est banaux quand cet adjectif appartient au vocabulaire de la féodalité et qualifie ce qui était mis à la disposition de tous moyennant le paiement d’une redevance au seigneur (des moulins banaux). Cette distinction n’a pas toujours été respectée : Marcel Cohen en témoigne, dans ses Regards sur la langue française, quand il signale que, en juin 1904 en Sorbonne, Émile Faguet employait la locution des mots banaux tandis que Ferdinand Brunot, dans une salle voisine, disait des mots banals… On s’efforcera tout de même, un siècle plus tard, d’essayer de l’appliquer.
Enfin, chez Grevisse (§ 553), je trouve :
L’usage présente des hésitations pour certains adjectifs.
Banal, comme terme de féodalité, fait au masculin pluriel banaux : Fours, moulins banaux. — Quand il signifie « sans originalité », il fait banals ou, un peu moins souvent, banaux. […]
Ex. de banaux « sans originalité » : Un des banaux accidents (Jammes, M. le curé d’Ozeron, p. 218). — Quelques mots banaux (R. Rolland, Journal, dans les Nouvelles litt., 6 déc. 1945). — Nous sommes une mosaïque originale d’éléments banaux (J. Rostand, Pens. d’un biol., p. 11). — Les rapports entre chefs et subordonnés, dans cette unité, ne sont pas banaux (Lacouture, A. Malraux, p. 300) [et d’autres, dont mon « Cressot » du début, seulement mentionnés dans la marge].
Le graphique Ngram Viewer que fournit le site La Langue française3 me fournit une explication de mon hésitation :
La même recherche dans la presse française avec Gallicagram donne un résultat approchant :
Le pluriel banaux a prédominé à l’écrit jusqu’aux années 1970 (et ce n’est pas le sens propre, lié à la féodalité, qui peut l’expliquer). Or je lis beaucoup de romanciers du xixe siècle. Tout s’éclaire.
Pour les références des ouvrages qui ne sont pas données ci-dessous, voir La bibliothèque du correcteur.
- Sens qui remonte à 1798, selon Alain Rey, dans le Dictionnaire historique de la langue française, contre 1778 dans Le Grand Robert, à moins qu’une coquille explique la différence de date.
- « Des compliments banaux ou des compliments banals », rubrique « Dire, ne pas dire », 3 décembre 2020.
- « Pluriel de banal : “banals” ou “banaux” ? », 28 février 2022.