C’est avec une certaine émotion que j’ai découvert cette « photo de famille ». Elle rend leur visage aux membres du 25e congrès de l’Amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de France, à Rennes, le 31 mai 1936, dont le président est alors E. Grenet (successeur de Théotiste Lefèvre1, qui officia jusqu’en 1921, et de A. Geoffrois).
Fondée à Perpignan, en 1897, par Joachim Comet (1856-1921), cette collectivité a connu plusieurs noms2. En 1905, elle « compte […] plus de 500 membres […] [et] a pour but la défense des intérêts professionnels et matériels de ses membres ; c’est une société de secours mutuels, de prévoyance et d’assurance pour le cas d’invalidité et pour la vieillesse3 ». En janvier 1921, elle avait « un effectif de 750 membres environ, dont 300 correcteurs au plus », écrit L.-E. Brossard4.
Concrètement, on sait, par exemple, que le congrès de Toulouse, en 1904, « s’est principalement occupé des offices de placement ; de la division rationnelle de la Société amicale des protes et correcteurs en sections régionales [d’abord au nombre de sept, elles seront quatorze à partir de 1911] ; du contrat d’apprentissage et du concours Delmas5.
« Une intéressante question, celle de la “cotisation-décès” en faveur de la famille des membres actifs de la société qui viendraient à mourir, a été résolue dans un sens nettement mutualiste.
« Le congrès s’est occupé aussi de la question des retraites et a formulé ses réponses au questionnaire relatif au rapport Taudou6, présenté à Lyon en 19037. »
Des comptes rendus peu informatifs
S’ils sont assez nombreux dans la presse, les comptes rendus des banquets annuels et congrès de correcteurs sont généralement ennuyeux : ils déroulent de longues listes d’intervenants, tout le monde se remercie et se congratule. Sont souvent présents le maire de la ville et quelques conseillers municipaux, un ou plusieurs maîtres imprimeurs locaux, éventuellement un directeur de journal. Dans la presse régionale, on trouve des passages de ce genre :
« Au dessert, le président de la section, M. F. Riou, le visage rayonnant, se lève et se défendant tout d’abord de vouloir faire un discours, salua en excellents termes les dames et les amicalistes présents, puis résuma notre programme de solidarité, de mutualité et de prévoyance sociale. […] Puis, gagné par la chaleur communicative, chacun y alla de sa romance ou de son monologue, et après une sortie familiale vers Saint-Laurent l’on revint trinquer à la santé des présents et… des absents8. »
On a tous les détails de l’organisation des journées ; on sait dans quel bon restaurant tout ce beau monde a déjeuné (mais pas de quoi, hélas !) ; on nous dit que les discours, nombreux, ont été très applaudis, mais on en apprend peu sur les questions débattues. À croire qu’il s’agit surtout de se régaler…
J’ai tout de même appris que le congrès de Saint-Étienne, du 15 mai 1910, « s’est occupé de la situation précaire des correcteurs, souvent moins rétribués que les typos. Une nouvelle intervention aura lieu auprès des syndicats des Maîtres imprimeurs, en les priant de prendre en considération les vœux qui leur seront soumis à nouveau. Ces vœux visent à la fois les salaires, la considération due aux correcteurs, les locaux malsains dans lesquels ils travaillent9. »
Et qu’en 1926, « le Congrès […] a adopté un vœu demandant huit jours de congé payé par an pour les correcteurs et les chefs de service […]10 ». Il faudra attendre encore un peu…
Se fédérer, une nécessité
Dès 1880, dans l’annonce d’un banquet annuel de correcteurs au Palais-Royal (Paris), présidé par Eugène Boutmy11, on peut découvrir le bienfait de telles rencontres :
« L’invitation s’adresse, non-seulement aux membres de la société, mais encore et surtout aux correcteurs qui n’en font pas partie. Les correcteurs n’ont que de rares relations ; ils se connaissent dans une imprimerie, et encore ! La réunion annuelle a pour but de faire connaître, et par conséquent apprécier à tous, la nécessité du groupement12. »
Des sujets abordés lors de ce « superbe banquet [qui] réunissait […] un grand nombre des membres de la Société des correcteurs de Paris », on sait ceci :
« M. E. Massard a insisté sur la nécessité d’établir une solidarité étroite entre les compositeurs et les correcteurs, et manifesté le désir de voir tous les correcteurs se grouper pour faire cesser l’exploitation dont ils sont l’objet. Ces travailleurs salariés ont besoin de leur appui mutuel pour triompher des injustices dont ils sont journellement victimes de la part des maîtres imprimeurs.
« Le délégué de la Société typographique a répondu que les compositeurs syndiqués seront prochainement invités à n’accepter dans leurs ateliers que des correcteurs également syndiqués. Le président a pris acte de cette importante déclaration13. […] »
La saveur des “actualités” du passé
Contraint de « couvrir » l’évènement, le rédacteur du journal local tire parfois bravement à la ligne pour remplir ses colonnes. Ainsi, quand les congressistes de Rennes, en 1936, partent visiter le Mont-Saint-Michel, la plume se fait lyrique :
« Les cars roulent, maintenant, sur la digue, entre des sables de traîtrise, et encore frisés de la caresse du flot. Entre Tombelaine et le Mont, une procession lilliputienne, croix d’or, faisant en tête un point lumineux, s’avance. Le Mont-Saint-Michel ! tout le monde descend ! et c’est l’entrée de la caravane par la Bavolle, la Cour du Lion, le boulevard, et enfin cette rampe pittoresque, aux maisons rapprochées, comme à la casbah, avec ses cuivreries de Villedieu, qui sont bien un peu mauresques ! Elles tintin[n]abulent aux échop[p]es, sous le toucher curieux. Les invites sont pressantes, le succès de l’omelette renommée est le secret de chaque hostellerie et de partout on vous promet vue sur la mer, du haut de la terrasse. […]14 »
Pour la bonne bouche, j’ai retenu deux autres passages de ces articles compassés. À lire avec l’intonation des speakers de l’époque.
1904 — « Dimanche, jour de Pâques, la section bordelaise de l’Association amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de province a célébré son banquet annuel, auquel — gracieuse innovation — les dames ajoutaient le charme de leur présence.
Comme par le passé, l’hôtel Gobineau justifia sa renommée si légitimement acquise, et ses hôtes, toujours fidèles, trouvèrent le fin menu qui leur fut servi en harmonie avec l’élégance de la table15. »
1907 — « À midi, une surprise attendait les excursionnistes à l’hôtel Bellevue, dont — entre parenthèses — le Vatel se surpassa. […] Delumeau, directeur de la Société vinicole blayaise ; Patrouillet et Brunette, imprimeurs à Blaye, […] prévenaient qu’ils se faisaient représenter à ce dîner intime par d’excellentes caisses de vin vieux. Aussi, quand vint l’instant de déboucher ces vénérables flacons, ce fut un feu croisé de toasts où les remerci[e]ments les plus chaleureux allèrent aux généreux donateurs, aux organisateurs aussi.
« Enfin, l’heure sonna du retour, et — après un court et merveilleux voyage — celle, suprême, de la dislocation. Ce fut le seul nuage de ces deux belles journées, — bien vite dissipé par l’espérance de l’au-revoir prochain, au Congrès général de Nantes16. »
Ces folles agapes nous paraissent bien lointaines…
- Petit-fils de Théotiste Lefèvre (1798-1887), auteur d’un célèbre Guide pratique du compositeur d’imprimerie.
- « Société amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de province, juin 1897-1911 ; Société amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de France, 1912-1932 ; Amicale des protes et correcteurs d’imprimerie de France, 1933-19?? ; Syndicat national des cadres et maîtrises du livre, de la presse et des industries graphiques ; Syndicat fédéral des industries poly-graphiques » (BNF).
- La Dépêche du Berry, 15 juin 1905.
- Le Correcteur typographe, 1924, p. 250.
- Il s’agit sans doute de Gabriel Delmas (1861-1942), maître imprimeur bordelais, qui « militait […] pour l’instauration de cours professionnels, avec des programmes unifiés », selon Marie-Cécile Bouju, dans sa thèse, L’école Estienne 1889-1949. La question de l’apprentissage dans les industries du livre, École nationale des chartes, 1998.
- Je n’ai rien trouvé de plus à son sujet.
- Le Petit Parisien, 24 mai 1904.
- L’Ouest-Éclair (édition de Rennes), 24 mai 1927.
- Annuaire de l’imprimerie, par Arnold Muller (1860-1925), typographe, p. 254.
- La Gironde, 25 mai 1926.
- Il nous a laissé un Dictionnaire de l’argot des typographes, 1883, rééd. Le Mot et le Reste, 2019. Voir mon article De savoureux portraits de correcteurs.
- La France (Paris), 1er septembre 1880.
- Le Prolétaire, 11 septembre 1880.
- L’Ouest-Éclair (éd. de Rennes), 2 juin 1936.
- La Gironde, 4 avril 1904.
- La Petite Gironde, 22 mai 1907.