C’est un vieux débat chez les correcteurs. Certains sont rassurés par le caractère légèrement plus normatif du Petit Larousse, et se tournent plus volontiers vers lui en cas de litige. Sans doute sont-ils aussi, plus ou moins consciemment, attachés à la tradition. 1905 (Larousse) contre 1967 (Robert) : un bon demi-siècle sépare la première publication de ces deux références (la maison Larousse remonte même à 1852).
Contrairement au Dictionnaire de l’Académie française, qui « cherchait à préserver en l’état la langue française telle qu’elle devrait être écrite et parlée1 », nos deux dictionnaires en un volume ont visé, chacun à sa manière, à « décrire une langue telle qu’elle est écrite et parlée dans toute sa diversité2 ».
La vraie différence entre les deux, c’est que le Petit Larousse est un dictionnaire encyclopédique illustré en un volume, alors que le Petit Robert est un dictionnaire de langue française uniquement (le volume de noms propres, actualisé moins souvent, est vendu séparément). À nombre de mots similaire (environ 60 000), les entrées du Robert sont donc bien plus détaillées que celles du Larousse.
D’ailleurs, ils « revendiquent des cibles légèrement différentes. Le premier évoque volontiers un public assez jeune, avec une cible très scolaire. Tandis que le second préfère évoquer un lectorat de “professionnels de l’écrit”, comme les traducteurs, les journalistes, les rédacteurs, les agences de communication ou de marketing3. »
La concision du Petit Larousse peut cependant plaire à certains professionnels : « Il est parfaitement lisible et propose des définitions plus concises ; pour nous, c’est un excellent instrument de travail, souligne Jean-Pierre Colignon, [alors] chef du service des correcteurs du Monde. En revanche, le secteur de l’édition littéraire préférera certainement le Robert4. »
Mais elle est souvent un obstacle :
« […] Si vous recherchez le sens d’un mot que vous découvrez pour la première fois, il est possible que vous restiez dans le flou après avoir consulté Larousse. Alors que chez Robert, vous trouverez sa prononciation en phonétique, l’étymologie, les différents sens du terme assortis de plusieurs exemples, des emplois tirés de la littérature, des synonymes et même des antonymes », détaille la correctrice Muriel Gilbert5.
C’était aussi l’avis de Jean-Pierre Leroux, grand réviseur québécois : du Robert il vantait le « haut degré de précision, de concision, d’élégance6 ».
Un dictionnaire de gauche ?
« [Le Petit Larousse] C’est le dictionnaire des gens rigoureux qui aiment les choses stables. Ses lecteurs n’ont pas le culte de la nouveauté […] », écrivait Le Figaro en 20107.
Inversement, « lors de la parution du premier Petit Robert, […] le Nouvel Observateur d’alors, par la plume du critique Michel Cournot, s’exclamait, de manière assez réductrice, mais chaleureuse : “Enfin, un dictionnaire de gauche !” », a raconté Alain Rey8.
Aujourd’hui, Géraldine Moinard, directrice de la rédaction des Éditions Le Robert, présente son produit phare en ces termes :
« Dictionnaire moderne, inscrit dans son époque, il rend compte mieux que nul autre des évolutions passionnantes d’une langue française résolument vivante. Parce que le Petit Robert est « un observatoire, pas un conservatoire » (selon la formule d’Alain Rey), il reflète le français dans toute sa diversité, sans négliger les mots des régions et de la francophonie, les mots familiers et les anglicismes9. »
« Ce parti pris, parfois politiquement incorrect, est considéré comme une dérive par la maison rivale qui, arguant de sa tradition et des responsabilités liées à sa large diffusion internationale, préfère témoigner de davantage de retenue, écrivait Le Monde en 1999. “Il ne faut pas égarer le lecteur. Si nous intégrons dans le Larousse le verbe niquer, nous n’avons pas besoin de citer l’expression nique ta mère, contrairement au Robert”, fait malicieusement remarquer Michel Legrain [alors directeur général adjoint de Larousse], qui laisse à d’autres le soin de “présenter la langue dans tous ses états” et préfère rassurer son lectorat plutôt que le flatter10. »
Cela va-t-il, chez Larousse, jusqu’à la pudibonderie ? Nos confrères du Monde se sont récemment posé la question.
Un manifeste contre le “bon usage”
Présente depuis la première édition (1967) et remaniée pour la dernière fois, à ce jour, en 2017, la préface du Petit Robert affirme clairement sa position par rapport à la norme. En voici les extraits pertinents :
« Le Petit Robert, dès sa naissance, suscita un vif intérêt chez les lecteurs qui, à côté du bon usage garanti par les grands auteurs, retrouvaient leur emploi quotidien du français dans ce qu’il avait de plus actuel et même de plus familier. […]
L’accueil fait à la langue courante familière constituait […] une hardiesse qui bousculait la tradition. »
Le Petit Robert « refus[e] l’autocensure d’une norme rigoureuse – il incombe au Dictionnaire de l’Académie française de remplir ce rôle. »
Le dernier paragraphe, ajouté par Alain Rey pour les cinquante ans (2017), soit dix ans après son essai contre le purisme11, est un véritable manifeste contre la notion de « bon usage ». En voici la seconde partie.
Au-delà de la fonction de référence, ce dictionnaire mène un combat contre la pensée unique et l’expression appauvrie. […]
Ce dictionnaire souhaite réagir contre une attitude nourrie d’une idéologie, celle d’une norme supérieure pour une élite, dans une population ainsi hiérarchisée, et dont les usages, lorsqu’ils se distinguent de ce “bon usage”, ne suscitent que mépris, dérision ou rejet. Le “bon usage” convenait peut-être à l’Ancien Régime, mais demande sérieuse révision, et ce sont plusieurs usages, plus ou moins licites et que personne ne peut juger “bons” ou “mauvais”, qui forment la réalité d’une langue.
L’idéologie de l’élite, des couches supérieures, ignore superbement ou juge sévèrement, dans l’ignorance têtue du réel social, tout autre usage que le sien. Au contraire, le Petit Robert est ouvert à la diversité, à la communication plurielle ; il veut combattre le pessimisme intéressé et passéiste des purismes agressifs comme l’indifférence molle des laxismes. Le français le mérite.
Chacun jugera si cette déclaration d’intention et, surtout, le résultat qui en découle lui conviennent.
Dictionnaire de mes années de lycée et d’université, le Petit Robert est resté le compagnon du correcteur que je suis devenu. « Un outil puissant qui aide à écrire et à penser », comme l’a déclaré Charles Bimbenet, directeur général du Robert12.
Pour ma part, j’adhère à l’avis d’Alain Rey :
« Sans image – pari ambitieux, au xxie siècle –, moins encyclopédique mais plus culturel et philologique, historique, littéraire, il s’adresse à un autre public que le Petit Larousse. […] Les deux ouvrages sont parallèles, complémentaires, et la “guerre” évoquée est strictement commerciale13. »
Pourquoi « choisir entre l’hiver et l’été14 » quand on peut bénéficier des deux ?
☞ Lire aussi Comment choisir un dictionnaire.
- Wikipédia, art. Dictionnaire de l’Académie française.
- Wikipédia, art. dictionnaire.
- Laure Croiset, « Entre Larousse et Robert, la guerre des dictionnaires est déclarée », Challenges, 22 mai 2019.
- Jean-Michel Normand, « Êtes-vous Larousse ou Robert ? » Le Monde, 30 juillet 1999.
- « Quelles différences entre le Petit Larousse et le Petit Robert ? », RTL, 2 juin 2018.
- Voir mon article sur son livre, Le Gardien de la norme.
- Sébastien Lapaque, « Êtes-vous Larousse ou Robert ? », Le Figaro, 28 juillet 2010.
- Présentation de l’édition du cinquantenaire (PDF).
- « Comment les mots entrent-ils dans le Petit Robert ? », Le blog Dis-moi Robert, 9 mai 2022.
- « Êtes-vous Larousse ou Robert ? », article déjà cité.
- L’Amour du français. Contre les puristes et autres censeurs de la langue, Denoël, 2007 ; coll. « Le Goût des mots », Points, 2009.
- Dans Challenges, article cité.
- Dictionnaire amoureux des dictionnaires, Plon, 2011, p. 768.
- Article du Figaro déjà cité.