Dans le roman Du vent (Belfond, 2016), de l’écrivain et traducteur belge Xavier Hanotte, le protagoniste, Jérôme Walque, ancien étudiant en philologie et romancier à ses heures perdues, a choisi de gagner sa vie comme correcteur. Il est employé « dans une maison d’édition juridique de la capitale » (ce fut aussi le cas, à Paris, d’Eugène Ionesco1). C’est, pour l’auteur, l’occasion de brosser un tableau sinistre des locaux où les correcteurs officient. Un de plus2.
L’établissement lui-même – un vénérable hôtel de maître aux escaliers pompeux et grinçants, suant la médiocrité capitonnée des culs-de-sac intellectuels – semblait un îlot du dix-neuvième siècle oublié en chemin par les explorateurs de la modernité. On y composait encore certains annuaires à la monotype et, à la fin du mois, chacun des loyaux serviteurs de la maison recevait une enveloppe en papier kraft où tintaient, au centime près, les pièces de son salaire entre deux billets neufs. C’était peu dire que le travail, pour exigeant qu’il fût, lui laissait l’âme en paix et l’imagination libre de vagabonder, pendant comme après les heures de service.
Plus loin, l’auteur détaille « le bureau des correcteurs », dont le « charme discutable […] l’apparentait, dans l’esprit de ses occupants, au greffe poussiéreux d’une prison vue par Piranèse » (savoureuse référence).
Complète depuis la Révolution belge, la collection du journal officiel capitonnait les murs du sol au plafond, manteau de cheminée compris. […] Profitant de l’unique fenêtre, un soleil aussi patient qu’économe avait jauni tous les fascicules, dont de nombreuses pages partaient en lambeaux sous l’effet de l’acidité. Dans la pièce, haute comme le salon qu’elle avait jadis été, stagnait un parfum composite de pipe froide […] et de vieux papier. Le défilé des typographes y ajoutait une odeur tenace d’encre grasse. […].
Il évoque aussi l’arrivée de l’informatique, ce qui me conduit à situer l’action au tout début des années 1980. Né en 1960, Hanotte a travaillé « un temps dans une maison d’édition juridique de la capitale [peut-être bien comme correcteur3] pour ensuite s’orienter vers la gestion de bases de données informatiques4 ».
Dans ce tableau de genre, les taches claires et géométriques des ordinateurs constituaient presque une faute de goût. Car au même moment, trois étages plus bas, l’imprimerie prolongeait la vie d’outils à peine postérieurs au père Gutenberg. […]
« Néanmoins, le triumvirat au pouvoir dans la maison s’était lassé de passer, dans le landerneau éditorial, pour le musée vivant de la corporation et avait récemment lancé l’entreprise dans un prudent défrichement des voies de la modernité. En commençant par l’administration.
« Comptables, libraires et correcteurs avaient donc vu, sous forme d’écrans monochromes, s’ouvrir devant eux quelques fenêtres sur le monde impitoyable de l’économie de marché. […]
Ces passages mis à part, il s’agit davantage d’un (bon) roman sur le travail de l’écrivain et sur la place de la littérature5.
Xavier Hanotte, Du vent, Belfond, 2016, p. 89-90 et 149-151.
- Voir mon Petit dico des correcteurs et correctrices célèbres. ↩︎
- Voir notamment Témoignage de M. Dutripon, correcteur d’épreuves, 1861 et Conditions de travail des correcteurs au XXe siècle. ↩︎
- « Correcteur d’imprimerie lors de son service militaire, c’est tout naturellement que Xavier Hanotte s’est dirigé vers ce métier dans la vie active. » Article « Xavier Hanotte : Un observateur du monde et de ses tourments », CathoBel, 13 mai 2024. ↩︎
- Fiche de l’auteur sur Bela. ↩︎
- Lire les critiques sur Babelio, sur La Cause littéraire et sur Leslibraires.fr. ↩︎