Un article de la BnF consacré à l’histoire de la typographie (signé Danièle Mermet, non daté) écrit :
« Un autre fils de François [Didot], Pierre François [1731-1795, dit le jeune], crée un des premiers codes typographiques à l’usage des correcteurs. »
Les Didot forment une dynastie d’imprimeurs qui, jusqu’au xixe siècle, apporteront « de nombreuses innovations techniques à l’industrie papetière, à l’imprimerie et à la typographie ».
L’Encyclopédie Larousse reprend cette information, avec des italiques : « Il créa également le premier Code des corrections typographiques », mais en l’attribuant à l’un des petits-fils de François Didot, Pierre (1761-1853).
Un code typographique au xviiie siècle ? Voilà qui bouscule mes connaissances, le premier « code typo » proprement dit datant, pour moi, de 1928 — après une série de « manuels typographiques » au xixe siècle. ☞ Voir Qui crée les codes typographiques ?
Silence des catalogues
« Soucieux d’apporter le plus grand soin aux ouvrages qu’il imprimait, Pierre François Didot composa et publia un petit ouvrage à l’adresse des correcteurs d’épreuves : Protocole des corrections typographiques », écrit, pour sa part, Jean-Claude Faudouas, dans son Dictionnaire des grands noms de la chose imprimée (Retz, 1991, p. 45).
Décidément ! Je fouille, bien sûr, le catalogue de la BnF et celui du musée de l’Imprimerie de Lyon, à la recherche de cette pièce historique. Sans succès.
Je ne trouve rien non plus sur Pierre-François1 Didot dans la vaste Somme typographique (1947-1951) de Maurice Audin, numérisée par le musée de l’Imprimerie de Lyon. Pas plus que dans Orthotypographie : recherches bibliographiques (Paris, Convention typographique, 2002), le gros travail de Jean Méron (voir son site).
L’objet identifié
Alors je m’adresse au service d’aide SINDBAD de la BnF, qui m’oriente vers « L’Art de l’imprimerie (Paris, Dictionnaire des arts et métiers, 1773) », cité par Alan Marshall dans « Manuels typographiques conservés au musée de l’Imprimerie de Lyon » (Cahiers GUTenberg, no 6, juillet 1990, p. 40).
Ce document existe bien à la BnF, sous forme de réimpression moderne : « L’art de l’imprimerie, Thorigny-sur-Marne : impr. de E. Morin, 1913, 39 p., in-8, coll. Documents typographique[s], I ».
Il a été « attribué à Didot le jeune par E. Morin2 », comme l’écrit encore Alan Marshall (art. cit.), car le texte n’est pas signé.
Il s’agit précisément de l’article « IMPRIMERIE (L’art de l’) » (p. 480-512), extrait du tome 2 du Dictionnaire raisonné universel des arts et métiers… de Philippe Macquer (1720-1770), revu par l’abbé Jaubert, imprimé en 1773 par Pierre-François Didot.
Je le retrouve alors mentionné chez Louis-Emmanuel Brossard (Le Correcteur Typographe, 1924, p. 287), où il tient sur une page, que voici.
Cette planche, numérotée II dans l’article de Didot le jeune, y est introduite par les mots suivants : « Lorsque la forme est entiérement ferrée, il [le compositeur] […] la porte à la presse aux épreuves pour en tirer une première épreuve, que le prote lit, & sur la marge de laquelle il marque les mots passés [bourdons] ou doublés, les lettres mises les unes pour les autres que l’on nomme coquilles, &c. Voyez Pl. II » (p. 497-498).
Le paragraphe qui suit, intitulé « De la correction », ne traite, en fait, que du corrigeage (la correction sur plomb). Il n’évoque jamais le correcteur lui-même, sauf dans les premiers mots : « Quand le compositeur a reçu du Prote, ou de tout autre Correcteur, l’épreuve où les fautes sont indiquées sur les marges, il faut qu’il la corrige […]. » Le mot protocole n’y apparaît pas non plus.
Un précurseur
Sauf erreur, les titres donnés par Larousse et Faudouas sont donc fantaisistes. Le texte de Didot le jeune ne s’adresse pas nommément aux correcteurs. Il ne s’agit pas non plus d’un code typographique, dont je rappelle la définition : « Ouvrage de référence décrivant les règles de composition des textes imprimés ainsi que la façon d’abréger certains termes, la manière d’écrire les nombres et toutes les règles de typographie régissant l’usage des différents types de caractères : capitales, bas de casse, italique, etc. » — Wikipédia.
Il s’agit seulement d’un protocole des signes de correction. Le premier, à ma connaissance, depuis l’embryon proposé par Jérôme Hornschuch en 1608 (☞ Voir Orthotypographia, manuel du correcteur, 1608). Les traités de Marie-Dominique Fertel (1723) et de Pierre-Simon Fournier (1764-1766) ne sont pas destinés au correcteur. Bertrand-Quinquet (1798) mentionne les « signes usités dans l’Imprimerie, et qui lui sont particuliers », mais ne les donne pas. C’est généralement à Marcellin-Aimé Brun (Manuel pratique et abrégé de la typographie française, 1825) qu’on attribue le premier tableau des signes de correction3.
C’est ce changement d’un demi-siècle dans la chronologie qui fait l’intérêt principal du présent article.
Article mis à jour le 26 octobre 2023.
- Je lui rétablis son trait d’union, suivant en cela la fiche de la BnF.
- Un personnage intéressant qu’Edmond Morin (1859-1938), que je découvre à cette occasion. « Apprenti en 1874, ouvrier à l’imprimerie Plon à Paris puis chez Jean-Claude Motteroz à partir de 1879. Militant actif de la Chambre syndicale de la typographie parisienne. — Auteur notamment du Dictionnaire typographique (1re éd., Lyon, 1903 ; nouv. éd., Bruxelles, 1933). — Fondateur de la Bibliothèque des arts graphiques (Paris, 1929), pour laquelle il lègue ses propres collections à partir de 1918. » — BnF. Lire aussi Marie-Cécile Bouju, « La Bibliothèque des arts graphiques : être utile (1929-1983) », Cahiers d’histoire, no 138, 2018, p. 99-113.
- Sur l’histoire des manuels typographiques, je recommande « Les manuels typographiques », dans Jacques André et Christian Laucou, Histoire de l’écriture typographique. Le xixe siècle français, Atelier Perrousseaux éditeur, 2013, p. 198-237.