Nicolas Faucier (1900-1992), militant anarcho-syndicaliste, exerça périodiquement le métier de correcteur des années trente à soixante, notamment au Journal officiel1. Dans son livre La Presse quotidienne, publié en 1964, il évoque sur trois pages2 « ce méconnu du grand public, mais qui n’en est pas moins un auxiliaire indispensable à la bonne tenue orthographique du journal ».
Pour être un bon correcteur, précise d’emblée notre ancien confrère, il ne suffit pas de « poss[éder] à fond toutes les subtilités de la langue », il faut aussi une « attention soutenue » […] « pour détecter toutes les erreurs grammaticales et aussi typographiques ».
« Des connaissances précises sur tout »
On exige du correcteur qu’il ait « des connaissances précises sur tout » et il doit être doué d’«une mémoire particulièrement active » […] « de manière à ne jamais hésiter et ne pas être obligé de recourir à chaque instant au dictionnaire pour corriger les irrégularités ou répondre à la question posée par le typo ou le rédacteur en chef sur un problème grammatical parfois épineux ».
Moi qui suis habitué, dans les manuels de typographie du xixe siècle, à voir mentionner, en tête des connaissances requises du correcteur, le latin, le grec, le droit ou les sciences, c’est en souriant que j’ai découvert cette adaptation à la presse quotidienne des années soixante, d’autant plus valable aujourd’hui : « Un bon correcteur doit […] posséder des rudiments des langues étrangères les plus usuelles et aussi d’argot. Il doit connaître l’orthographe exacte du nom de la dernière vedette du cinéma, du sport ou de la littérature, le titre du roman ou du film en vogue, etc. »
« Le travail en équipe »
Faucier évoque aussi « le travail en équipe [qui] permet de mettre en commun le savoir de chacun », ce qui, dans le métier, prend souvent la forme d’une question posée « à la cantonade ».
Il faut connaître les discussions souvent passionnées qui s’instaurent entre eux sur certaines particularités de la langue française pour comprendre les scrupules qui assaillent parfois les correcteurs appelés à se prononcer soit sur l’éternel problème des participes, soit sur la formation des mots composés, si bizarrement accouplés, les phrases boiteuses, les coupures en fin de ligne, les néologismes qui pénètrent de plus en plus notre langage avec les découvertes scientifiques, le sport, etc., mélanges d’expressions et de termes empruntés à toutes les langues.
Hélas, se lamente-t-il, malgré les compétences et la conscience professionnelle du correcteur, « on ne lui sait aucun gré de sa vigilance ».
Le rédacteur en chef, qui voit la sortie du journal retardée par ses corrections jugées quelquefois intempestives, le typo qui peste contre le « virgulard » qui lui complique l’existence par ses « chinoiseries », l’attendent au tournant.
Et les critiques ne lui manqueront pas si, par mégarde, la coquille sournoise échappe à sa sollicitude. […]
Cette odieuse coquille, qui s’est insinuée hypocritement au milieu d’un mot, et parfois dans un gros titre, s’étale alors à tous les regards, narguant l’impuissance du correcteur ridiculisé, bafoué, humilié par ses « ennemis héréditaires »: le rédacteur — oublieux des bévues qu’il lui épargne et qui ne se fait pas faute de le blâmer sévèrement ; le typo qui se venge en blaguant — pas toujours avec bienveillance — le pauvre correcteur exposé alors à broyer du noir si l’expérience ne l’a pas encore cuirassé…
Mais l’auteur termine sur une note positive : « Les erreurs que l’on peut qualifier de « monumentales » — et qui ne lui sont pas toutes imputables — sont plus rares qu’on ne le pense et ne sauraient altérer en rien l’harmonie et la bonne humeur qui règnent entre tous. »
Nicolas Faucier, La Presse quotidienne. Ceux qui la font, ceux qui l’inspirent, Paris, Les Éditions syndicalistes, 1964, 343 pages. Chapitres : Avant-propos - Vie et structure d’un grand quotidien - Dans l’imprimerie de presse - Les organisations professionnelles - De Renaudot à la presse moderne - Qu’elle était belle la nouvelle presse sous la clandestinité - Les services annexes, agences de presse, messageries - Perspectives pour une presse ouvrière - La liberté de la presse - Les nouvelles techniques d’information - Les maitres de la presse. Le livre a connu une seconde édition l’année suivante.
Article mis à jour le 26 juillet 2024.
- Lire sa fiche dans le Maitron.
- Je remercie Guillaume Goutte, correcteur dans la presse parisienne et secrétaire délégué des correcteurs au Syndicat du Livre CGT, de m’avoir transmis ces pages. Il est l’auteur de l’indispensable Correcteurs et correctrices, entre prestige et précarité, éd. Libertalia, 2021. Voir La bibliothèque du correcteur.