« Le mélange des virgules italiques et des virgules romaines est, nous le savons, un détail qui paraît bien minutieux aux gens qui ne sont pas du métier, mais il fera toujours la désolation de l’homme de goût. » — G. Daupeley-Gouverneur (18801)
Comment le correcteur doit-il agir quand une virgule suit un texte en italique ou en gras (ou les deux à la fois) ? Celle-ci doit-elle se conformer au style du texte en question ?
Une règle simple se trouve dans Le Ramat européen de la typographie, adapté par Romain Muller (p. 88, « Faces de la ponctuation ») :
La ponctuation se met dans la face2 de la phrase ou partie de phrase à laquelle elle appartient.
➠ La centième partie de l’euro est le centime ; la centième partie de la livre est le penny.
Le point-virgule et le point sont en romain.
➠ Le titre du livre est le suivant : Le théâtre aujourd’hui ; son rôle dans la société.
Le deux-points est en romain, le point-virgule est en italique, le point est en romain.
Pour la plupart des gens, professionnels ou non, « un point romain et un point italique, ça doit être kif-kif », comme le dit quelqu’un dans le forum Typographie… Mais poursuivons notre lecture de Ramat-Muller :
Fautif : Il convient d’être très attentif, car c’est un travail de précision.
Correct : Il convient d’être très attentif, car…
Fautif : c’est un travail de précision. Il faut être très attentif !
Correct : c’est un travail de précision. Il faut être très attentif !
Cette règle est celle que j’applique dans les travaux où j’ai le contrôle complet de la typographie. Elle a l’avantage de ne souffrir ni exception ni ambiguïté. « C’est la façon de faire la plus normale et celle qu’on devrait préférer », écrit aussi la Vitrine linguistique3.
C’est également le choix de Jean-Pierre Lacroux (s.v. Ponctuation) :
Après une portion de phrase composée en italique (mots étrangers, titres, etc.), la ponctuation sera composée en romain si elle n’appartient pas à l’élément ainsi mis en évidence : « Quel est le deuxième lied du cycle Die schöne Müllerin ? — Il me semble que c’est Wohin ? »
De même pour Charles Gouriou (§ 41, p. 13), qui ne mentionne, lui, que la ponctuation haute (; : ! ?).
Avis divergents
Cependant, notre vieux Code typographique4 prescrivait l’inverse dans un nota (§ 105, p. 108) :
Il est d’usage d’employer les signes de ponctuation du même œil que le mot qui les précède, surtout quand il s’agit d’italique ou de caractères gras :
➠ Fallait-il écrire la location ou l’allocation ?
➠ On discuta longtemps sur Tartuffe ; d’autre part, on tomba d’accord sur…
D’autres font une exception pour la seule virgule ou pour toute la « ponctuation basse » (virgule, point, points de suspension). « Peut-être pour des raisons de commodité » (Vitrine linguistique), le plus souvent avec des arguments esthétiques5.
Aurel Ramat lui-même, dans son manuel (l’édition québécoise, donc), écrit (p. 192) : « La ponctuation basse reste toujours dans la même face que le mot qui la précède, qu’elle appartienne au mot ou au reste de la phrase. »
« Toutefois, objecte le Bureau de la traduction6 (Canada), si l’on applique à la lettre cette règle de typographie, on devrait écrire :
➠ Vous avez le choix d’utiliser les styles de police suivants : gras, italique, normal, gras italique.
Il semble plus logique dans un cas comme celui-là de mettre les signes de ponctuation en caractères ordinaires. »
Laquelle des options ci-dessous est la meilleure ?
gras, italique, normal, gras italique.
gras, italique, normal, gras italique.
C’est une question d’appréciation personnelle. Je choisis la seconde.
Je ne pratique qu’une exception, pour les introducteurs en gras, car je considère que le deux-points qui les suit leur appartient. Choix validé par le Bureau de la traduction :
On met généralement en gras le deux-points qui suit un mot ou une expression en gras en début de phrase :
➠ Remarque : Ce terme est considéré comme vieilli.
Pour être exhaustif, il faut aussi noter, toujours sous la plume du Bureau de la traduction :
Par souci de simplification et d’économie de temps, on admet […] de mettre les virgules en italique après chaque nom d’une énumération :
➠ Les noms qui riment avec le son -on, comme jambon, lardon, poisson, carillon, bouton, etc., ne peuvent pas être utilisés dans l’exercice.
J’avoue me laisser aller à ce genre de facilité… ce qu’admet aussi Lacroux, dans une discussion7 :
[…] dans une énumération de termes composés en italique, pourquoi se fatiguer à réintroduire du romain à chaque virgule alors que l’ital coule de source et que sa bizarrerie « sémantique » n’apparaîtra qu’à quelques lecteurs vétilleux […]
Je donne ici une règle qui a l’avantage d’être facile à appliquer, mais je ne suis pas pour autant insensible à l’aspect esthétique de la question. J’y reviens donc dans un billet plus historique, Ponctuation et italique : aux sources de la règle.
☞ Pour faire le tour complet de la question, lire aussi Les parenthèses encadrant de l’italique doivent-elles être en italique ?
☞ Pour les références des auteurs cités ne figurant pas dans les notes ci-dessous, voir La bibliothèque du correcteur.
Illustration du haut empruntée au site Estandarte.
- Daupeley-Gouverneur, G., Le Compositeur et le Correcteur typographes, Paris, Librairie Rouvier et Logeat, 1880, p. 122.
- Face est un anglicisme. En France, on parle plutôt de caractère, de type de caractères ou encore de style.
- Article Emploi de l’italique pour les signes de ponctuation. Voir aussi, côté suisse, le Guide du typographe (6e éd., 2000, p. 101), mais la règle n’y est pas formulée aussi clairement.
- Fédération C.G.C. de la communication, 15e éd., 1986.
- Bécarre, utilisateur de Wikipédia dont les réflexions m’ont inspiré ce billet, oppose « école rationaliste » et « école esthétique ». Lire son article Italique et ponctuation.
- Article Italique et gras aux signes de ponctuation.
- Cas particulier souligné dans le forum Typographie – III. Ponctuations hautes et virgules « mixtes ».