Acheter des livres d’occasion, profiter du désherbage

Cet été, je me suis quelque peu lâché sur les acqui­si­tions. Les grands lec­teurs savent ce que c’est : de notes de bas de page en biblio­gra­phies, de recherches en recom­man­da­tions, il y a tou­jours plus de livres à lire, et on s’en réjouit. Bref, j’avais com­men­cé les vacances en réor­ga­ni­sant mes éta­gères, mais là, clai­re­ment, je manque de place. Un détail. « L’important, c’est de les avoir », dirait mon ami Laurent. 

Mal­gré les appa­rences, cet ensemble ne m’a pas coû­té cher. La plu­part des titres, je les ai ache­tés d’occasion, par­fois à un euro (via le com­pa­ra­teur de prix Chasse aux livres). Les biblio­thèques « désherbent » leur fonds, je com­plète le mien. Voi­là un sys­tème éco­no­mique qui me convient ! J’ai tout de même de la peine pour tous ces livres (et leurs auteurs) qui, mani­fes­te­ment, n’ont pas été ouverts ou si peu. 

Terme consa­cré en biblio­thé­co­no­mie, le désher­bage est une opé­ra­tion « des­ti­née à mettre en valeur les col­lec­tions dis­po­nibles et à offrir des res­sources constam­ment actua­li­sées aux usa­gers des biblio­thèques » (Wiki­pé­dia).

Pour ma part, confron­té comme elles « à des pro­blèmes récur­rents de réor­ga­ni­sa­tion, d’encombrement ou d’impossibilité d’extension », je ne pour­rai désher­ber que lorsque j’aurai ter­mi­né mes recherches. Là, je suis en plein dedans. Je vais devoir patien­ter un peu. 

Plus d’informations sur le désher­bage dans un PDF de l’Enssib.

Technique de recherche avancée sur Google

Extrait de ma liste d'URL de recherche sur Google
Extrait de ma liste d’URL de recherche sur Google (incli­né pour l’ef­fet graphique).

Comme je l’ai expli­qué dans un autre article, la poly­sé­mie du mot cor­rec­teur (et aus­si de cor­rec­trice) fait que, lors­qu’on uti­lise un moteur de recherche, on reçoit un très grand nombre de résultats. 

Pour réduire ce nombre, les pre­mières solu­tions sont :

  • soit d’ajou­ter des mots-clés per­ti­nents. Ain­si,
    [correcteur imprimerie] ou [correcteur édition] ;
  • soit d’éli­mi­ner ce qui n’est pas per­ti­nent, en le fai­sant pré­cé­der d’un signe moins (le trait d’u­nion du cla­vier, sans espace der­rière). Ain­si,
    [correcteur -maquillage].

NB — Dans les com­mandes que j’in­dique, les cro­chets servent uni­que­ment à déli­mi­ter le code ; il ne faut pas les sai­sir dans Google.

On peut, bien sûr, addi­tion­ner les mots-clés (ajou­tés ou retran­chés), par exemple :

[correcteur édition emploi]

ou [correcteur -maquillage -cosmétique]

Pour gagner encore en per­ti­nence, on peut uti­li­ser un opé­ra­teur puis­sant (mécon­nu) qui per­met d’af­fi­cher uni­que­ment les pages conte­nant tous les mots deman­dés, [allintext:].

Par exemple, [allintext:correcteur imprimerie] est beau­coup plus effi­cace que le simple [correcteur imprimerie].

Atten­tion : il est impé­ra­tif qu’il n’y ait pas d’es­pace après le deux-points de l’o­pé­ra­teur avancé. 

Pour recher­cher une expres­sion, comme cor­rec­teur d’imprimerie, on l’en­cadre de guille­mets droits : ["correcteur d’imprimerie"]. C’est utile notam­ment pour retrou­ver un pro­verbe ou une citation.

Un site à la fois

On peut aus­si res­treindre la recherche à un site par­ti­cu­lier, avec l’opérateur [site:].

Par exemple, si je veux cher­cher le mot-clé cor­rec­teur dans le site Lemonde.fr, l’URL sera [site:lemonde.fr correcteur] — ou [correcteur site:lemonde.fr], l’ordre n’ayant pas d’im­por­tance ici.

Si je veux recher­cher l’ex­pres­sion cor­rec­teur d’imprimerie sur Lemonde.fr, l’URL sera : 

[site:lemonde.fr "correcteur d’imprimerie"]

Pour recher­cher l’alter­na­tive cor­rec­teur ou cor­rec­trice, j’a­joute [OR correctrice]

[site:lemonde.fr correcteur OR correctrice]

Je peux aus­si éli­mi­ner une expres­sion. En tapant :

[site:lemonde.fr correcteur OR correctrice -"langue sauce piquante"]

j’ex­clus des résul­tats les articles du blog des cor­rec­teurs du Monde.fr, Langue sauce piquante (que je connais déjà).

Une fois que j’ai déli­mi­té cor­rec­te­ment ma recherche, j’enregistre ce signet tel quel pour ne plus avoir à le saisir. 

Lors de mes pro­chaines visites, si je le sou­haite, je pour­rai res­treindre les résul­tats à une période don­née (de moins d’un an à moins d’une heure), en cli­quant sur Outils au-des­sus du pre­mier résul­tat, ce qui fera appa­raître un nou­veau menu. 

Par exemple, ma der­nière recherche sur le site de Libé­ra­tion, res­treinte à l’an­née écou­lée, ne don­nait que deux résultats : 

recherche des mots-clés "correcteur" et "correctrice" sur le site de "Libération"

Il existe d’autres astuces, que je n’emploie pas ou rare­ment, mais qui peuvent vous être utiles. Vous les trou­ve­rez sur la page Google consa­crée à la recherche avan­cée ain­si que dans les articles Les opé­ra­teurs boo­léens : la recherche opti­mi­sée dans Google & Co et Les recherches appro­fon­dies avec les opé­ra­teurs Google du Digi­tal Guide IONOS. 

Mon parcours de recherche bibliographique

Voi­là plus de trois ans que j’ai com­men­cé ces recherches sur l’histoire du métier de cor­rec­teur (☞ voir Liste des articles). J’ai sim­ple­ment démar­ré sur Google, puis ont sui­vi Gal­li­ca, Google Livres, le cata­logue géné­ral de la BnF (et les visites sur place, un bon­heur), Retro­news, le site de presse de la BnF, ouvert en sep­tembre 2021 (une mine), la biblio­thèque patri­mo­niale de l’école Estienne (où j’ai reçu un superbe accueil), le site du musée de l’Imprimerie et de la Com­mu­ni­ca­tion gra­phique de Lyon, d’autres cata­logues encore…

Je ne compte pas, bien sûr, les nom­breux livres ache­tés, emprun­tés, cer­tains consul­tés, d’autres lus inté­gra­le­ment (☞ voir Biblio­gra­phie com­men­tée).

Au bout de ces trois années, après avoir croi­sé les mots-clés dans tous les sens (notam­ment pour contour­ner le pro­blème de la poly­sé­mie du mot cor­rec­teur), et télé­char­gé des cen­taines de docu­ments, je com­men­çais à me dire que j’avais à peu près tout exhu­mé. Mon disque dur est plein de textes his­to­riques numé­ri­sés, d’articles de jour­naux ou de blogs en PDF, d’images diverses…

Et c’est pré­ci­sé­ment là, il y a quelques jours, que j’ai décou­vert les col­lec­tions numé­ri­sées des biblio­thèques patri­mo­niales de la Ville de Paris. Et hop ! un bon mil­lier de docu­ments sup­plé­men­taires à étudier. 

Vision­neuse des col­lec­tions numé­ri­sées des biblio­thèques patri­mo­niales de la Ville de Paris.

Leur vision­neuse est excel­lente. Sur la gauche, la liste des occur­rences du mot-clé (en ita­lique, gras et rouge) dans le docu­ment sélec­tion­né. Sur la droite, le docu­ment en ques­tion, avec le mot-clé sur­li­gné en rouge et enca­dré d’un filet bleu. Le télé­char­ge­ment est rapide. Les sites Gal­li­ca et Retro­news (mal­gré leur qua­li­té) devraient s’en ins­pi­rer. On gagne­rait en fluidité.

J’ai aus­si­tôt entre­pris l’épluchage… Résul­tat, quelque 250 extraits de jour­naux ont rejoint ma collection. 

Cap­ture d’é­cran mon­trant mes listes d’ex­traits de jour­naux numé­ri­sés, télé­char­gés depuis le site des biblio­thèques patri­mo­niales de la Ville de Paris.

Reste main­te­nant à lire et anno­ter tout ça. Reste à se poser les bonnes ques­tions et à y répondre… ce qui peut occa­sion­ner de nou­velles recherches. C’est la par­tie la plus intéressante. 

☞ Lire aus­si Der­lin­din­din ou l’histoire d’un échec.

“Derlindindin” ou l’histoire d’un échec

C’est l’histoire d’un demi-échec ou, du moins, d’une recherche inabou­tie. Elle me donne l’oc­ca­sion de vous mon­trer com­ment je travaille. 

Un matin de cette semaine, pro­fi­tant de mes vacances — bien méri­tées, dirais-je — pour relan­cer les recherches, je tombe sur une Phy­sio­lo­gie1 de l’imprimeur (éd. Des­loges, 1842) com­por­tant le mot cor­rec­teur, signée de Constant Moi­sand (1822-1871). L’au­teur n’a donc que 19 ou 20 ans quand il publie ce livre. 

Page 37, on y lit ceci : 

Vous arri­vez les poches pleines d’é­preuves ; vous remet­tez votre copie au cor­rec­teur qui entonne de sa grosse voix le der­lin­din­din, et tous les singes2 répètent en cœur [sic] le der­lin­din­din ; ce qui veut dire que celui qui a com­po­sé la copie que l’au­teur vient de remettre a fait une infi­ni­té de bour­dons, dou­blons, coquilles, etc.

Rien d’autre sur le sujet de mon blog. 

Mais… « le der­lin­din­din », voi­là de quoi occu­per ma mati­née ! Qu’est-ce donc ? Cherchons.

Un bruit de clochette

Der­lin din­din est une variante de dre­lin din­din (ou din din), l’aîné de notre dre­lin, dre­lin, ono­ma­to­pée imi­tant une clo­chette ou une son­nette. Le chan­son­nier Béran­ger (1780-1847) a écrit : « Pauvres fous, bat­tons la cam­pagne / Que nos gre­lots tintent sou­dain / Comme les beaux mulets d’Es­pagne / Nous mar­chons tous dre­lin din­din » (Cou­plet) — Lit­tré.

On trouve notre der­lin din din dans un vau­de­ville3 d’Eu­gène Labiche (1815-1888), Les Pré­ten­dus de Gim­blette (1850) :

Sem­bett : No ! un son de cloche… Com­ment ils fai­saient les cloches ?
[…]
Bar­na­bé : Elles font der­lin, der din, din din.

Nous appre­nons déjà quelque chose. 

Mais notre cor­rec­teur — appe­lons-le Jules — imite-t-il « de sa grosse voix » une clo­chette ? Et les com­po­si­teurs répètent-ils en chœur la même clo­chette ? Je n’y crois pas trop. 

Chanson à succès

Je penche plu­tôt pour un air à la mode. Au xixe siècle comme aujourd’hui, il y a des airs à suc­cès, qu’on entend au café-concert ou au théâtre. Cer­tains reçoivent même de nou­velles paroles, pour un évè­ne­ment fes­tif. Ain­si, deux chan­sons que j’ai trou­vées sur Gal­li­ca : Le Cor­rec­teur d’imprimerie (non datée, mais peut-être entre 1803 et 1848), d’un cer­tain Chol­let, est à chan­ter sur l’air de La Treille de sin­cé­ri­té, écrite par Désau­giers (1772-1827), et Les Cor­rec­teurs en goguette à Cha­ren­ton (1822) colle à l’air du vau­de­ville en un acte Lan­ta­ra, ou le Peintre au caba­ret (créé en 1809), « À jeun je suis trop philosophe ».

Page de titre du qua­drille Der­lin din­din ou Asseyez-vous d’s­sus (1859). © Palaz­zet­to Bru Zane / fonds Leduc.

Je tombe alors sur Der­lin din­din, un qua­drille. Oh joie ! D’autant que le sous-titre de cette danse est « Asseyez-vous des­sus », ce que j’imagine déjà faire la joie de Jules et de ses facé­tieux col­lègues… Mal­heu­reu­se­ment, Arban (1825-1889), com­po­si­teur de danses et chef d’orchestre popu­laire, offi­ciait au bal Le Casi­no, dit Casi­no-Cadet, « construit en 1859 [et] renom­mé pour la légè­re­té de ses dan­seuses » (Wiki­pé­dia), et 1859 est aus­si la date de la partition.

Au pas­sage, je décèle une bizar­re­rie : la page de titre de la par­ti­tion pré­cise « sur des motifs de Krie­sel ». Or, si Krie­sel (dont les dates de nais­sance et de mort nous sont incon­nues) a bien écrit Asseyez-vous d’s­sus !, « can­ti­lène comique, sur des paroles de MM. Jules de [sic] Renard [1813-18774] et Amé­dée de Jal­lais [1825-1909] », la par­ti­tion a été impri­mée chez Bol­lot en 1861… soit deux ans après le qua­drille qui s’en est ins­pi­ré ! Je vous laisse ce mys­tère à résoudre.

Asseyez-vous d’s­sus serait une fan­tai­sie sur l’expérience de l’omni­bus, d’après un récent livre anglais sur le sujet (Eli­za­beth Amann, The Omni­bus : A Cultu­ral His­to­ry of Urban Trans­por­ta­tion, Sprin­ger Nature, 2023, p. 107), ce que semble confir­mer la gra­vure illus­trant la partition.

Déçu, je remets les gaz à mes moteurs (de recherche)… et finis par trou­ver, dans le Cata­logue géné­ral des œuvres dra­ma­tiques et lyriques fai­sant par­tie du réper­toire de la Socié­té des auteurs et com­po­si­teurs dra­ma­tiques (ouf !), Der­lin­din­din, vau­de­ville en un acte de René Per­in (1774-1829), édi­té par Jean-Nico­las Bar­ba (1769-1846). Date incon­nue, sauf que le cata­logue s’arrête à 1859, mais de toute façon anté­rieure à la mort de Bar­ba. Là, ça collerait. 

Frustration de chercheur

Le qua­drille aban­don­né, reste donc ce vau­de­ville, dont je ne sais rien. À moins qu’il ne s’a­gisse d’un autre, qui aurait disparu.

Ah, je le voyais bien, pour­tant, notre Jules, aller oublier, le dimanche, au Casi­no-Cadet, qu’il bosse douze heures par jour, du lun­di au same­di (sauf quand il « fait le lun­di »), guin­cher sur Der­lin din­din, le qua­drille à la mode, et, de retour au tur­bin, s’en ser­vir comme signe de com­pli­ci­té avec les « singes ». 

Mal­heu­reu­se­ment, les dates sont impitoyables.