[…] je verrais d’un bon œil que, tout au long de l’année à venir, on prît la bonne résolution de ne plus « opposer » son veto pour se contenter de le mettre (en latin, veto signifiait déjà « je m’oppose ») […]1
Mini-panique à bord, vu que je laisse toujours passer cette expression.
Heureusement, dans un article où elle corrige apposer un veto, l’Académie m’a rassuré :
« Comme le nom veto désigne un droit reconnu par certaines constitutions au chef de l’État de s’opposer à la promulgation d’une loi votée par l’Assemblée législative et, par extension et par affaiblissement, une opposition, un refus ou une interdiction, c’est opposer un veto qu’il faut dire (comme on dit opposer un refus, opposer une fin de non-recevoir), et non apposer un veto. »
Sur la question, le site Parler français est on ne peut plus clair :
Un pléonasme, vraiment ? Littré, que l’on ne peut soupçonner d’avoir perdu son latin, n’y trouve pourtant rien à redire […]. Pas plus que Hanse […], le TLFi […], le Petit Robert […] ou le Dictionnaire historique de la langue française […]. Girodet lui-même, qui n’a pas la réputation d’être laxiste, trouve cette condamnation excessive […]. Il faut dire que le tour, attesté depuis la Révolution, perdure sous plus d’une plume respectable […].
C’est pas sympa de me faire une frayeur un vendredi soir !
Puis a un statut particulier. C’est un adverbe de temps1 (équivalant à ensuite), mais « il s’emploie toujours, en français commun, dans le contexte d’une coordination, et il se place entre les éléments coordonnés, ce qui fait qu’on le range souvent parmi les conjonctions de coordination » (Grevisse, 1005, g2).
En début de phrase, il est rarement suivi d’une virgule, mais ce n’est pas interdit. En tant que « charnière temporelle », sur le modèle d’ensuite, il y a droit3.
« […] puis peut porter un accent tonique, être suivi d’une pause dans l’oral et d’une virgule dans l’écrit […] » (Grevisse, loc. cit.).
On en trouve des exemples dans la littérature. En voici trois, tirés du Grand Robert :
Puis, il repartit, avec une furie nouvelle, jetant un chiffre de la main à chaque enchérisseur, surprenant les moindres signes, les doigts levés, les haussements de sourcils, les avancements de lèvres, les clignements d’yeux […] — ZOLA, Le Ventre de Paris, t. I, p. 154-155.
[…] Moravagine se signa longuement devant les icônes. Puis, il s’empara d’une assiettée de zakouskis et but une grande tasse d’alcool, retourna devant les icônes, commanda un borchtch4, vint s’asseoir à ma table, alluma sa courte pipe en jurant, croisa ses jambes et entama un long monologue à haute voix. — B. CENDRARS, Moravagine, inŒuvres complètes, t. IV, p. 165.
Quand il connut la nouvelle, le capitaine Raymond Dronne, du régiment de marche du Tchad, donna calmement ses ordres de départ à ses hommes. Puis, il décrocha le rétroviseur de son command-car et l’attacha à une branche de pommier. Et il entreprit de tailler sa florissante barbe rousse. — D. LAPIERRE et L. COLLINS, Paris brûle-t-il ?, p. 250.
En complément, ajoutons que, au sens temporel, « puis est employé dans la meilleure langue avec et » (Grevisse, loc. cit.) :
Le loup le quitte alors et puis il nous regarde (Vigny, Dest., Mort du loup). […]
C’est encore plus joli quand elles retombent. Et puis aussitôt elles se fondent(A. Breton, Nadja, p. 99)5.
Au sens de « d’ailleurs, au reste, en outre », et puis est souvent suivi d’une virgule :
— Pourquoi aurait-elle fait l’amour si vite, quelques minutes après vous avoir rencontré ? — Je vous l’ai dit, à nos âges, ça se fait. Et puis, elle avait bu et fumé, ça désinhibe, c’est certain. — Karine TUIL, Les Choses humaines, p. 2646.
Cet article m’a été inspiré par une consœur qui trouvait cette virgule « très bizarre », alors qu’une autre, à la lecture de l’article, a commenté : « Puis sans virgule me semble… tout nu ! » Une nouvelle preuve que, selon nos lectures, nous avons une image différente de la langue française.
Plus rarement adverbe de lieu : Derrière lui était assis un tel, puis un tel. — Wiktionnaire. ↩︎
Le Bon Usage, De Boeck-Duculot, 14e éd., 2008. ↩︎
Êtes-vous familier de cette construction ? Elle est très fréquente en droit. Pourtant, les dictionnaires usuels ne la référencent pas.
Seul Antidote explique que, « en parlant d’une loi, d’un règlement, d’un contrat », ce verbe signifie : « Contenir des dispositions, des clauses applicables. » C’est donc l’équivalent de disposer.
Les grammaires sont tout aussi muettes sur la question, sauf Hanse et Blampain (Dictionnaire des difficultés du français, 2012), qui écrivent à propos de cette acception donnée à prévoir :
On va sans doute trop loin lorsqu’on dit : La loi a prévu telle sanction au lieu de : a prescrit telle sanction, mais on dira qu’elle a prévu telle sorte de crime.
Trop tard ! Les textes de loi en sont farcis, et nous sommes obligés de les citer tels quels.
Quelques exemples tirés du site Légifrance :
La procédure prévoit que l’auteur du signalement est informé par écrit de la réception de son signalement dans un délai de sept jours ouvrés à compter de cette réception1.
[…] la loi ou le règlement prévoit que cette peine ne peut pas être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle2.
[…] ledit article 13 prévoit que locataires et occupants doivent, le cas échéant, être relogés dans un des locaux situés dans les immeubles ayant fait l’objet de travaux […]3
L’article 3 prévoit que les assureurs n’ont plus à couvrir obligatoirement les dommages occasionnés à l’étranger par les engins de déplacement personnels motorisés (EDPM) et assimilés, comme les trottinettes électriques[…]4.
Le projet d’arrêté prévoit que le traitement SIRENE poursuit trois finalités sur le vecteur maritime […]5
Pratiquez-vous l’élision ç’a été ? Personnellement, dans mes textes, j’évite le double hiatusa/a/é et je propose à mes clients d’en faire autant.
André Jouette (1993) écrit :
C’, Ç’ Élision de ce, pronom démonstratif devant une voyelle. La cédille se met devant a, o, u. C’est nouveau. Ç’a été un grand malheur. C’eût été trop beau (conditionnel car on pourrait dire : Ç’aurait été). Et n’allez pas croire que ç’ait été toujours pour dire du bien de vous (Diderot). C’en est (sera) fini de cette histoire.
Ça ne s’élide pas. On écrit : Ça ira. Ça arrive. Ça allait mieux. Ça a un bon côté.
Dans Ç’a été, on a élidé ce et mis la cédille pour le son [s].
Hanse et Blampain (2012) donnent comme exemples : Ç’allait être les vacances. Ç’avait l’air d’une bonne blague. Ç’allaitêtre mon tour.
Et Le Dico en ligne du Robert : Ç’a été une belle journée. Ç’allait être difficile.
Mais cette élision est facultative et tend à disparaître. La non-élision se rencontre chez de grands auteurs (donnés par La Culture générale) :
— Non, il est passé dans les miennes ; je ne dirai pas que ça a été sans peine, par exemple, car je mentirais. (Dumas, Les Trois Mousquetaires.) Non, ça aurait été stupide, sa visite était justement cette excuse […]. » (Proust, À la recherche du temps perdu.) Ça en estvenu à un tel point que nombre de magasins ouvrent des crédits à leurs clientes, qui ne payent plus que l’intérêt de leurs achats. » (Journal, Goncourt.)
Pour l’Académie, plutôt que ça a été, il est préférable d’employer ç’a été.
Rappelons que le vrai nom de l’inventeur, en Europe, de l’imprimerie à caractères mobiles est Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg, « nom d’emprunt tiré de la maison que possédaient ses parents à Mayence et qui portait l’enseigne Zum guten Berg (“à la bonne montagne”) » (note de Wikipédia).
Cette francisation suit la règle classique énoncée dans une note de Wikipédia :
« L’usage français veut que, devant les lettres m, b et p, à l’exception de quelques mots comme bonbon, bonbonne et embonpoint, on emploie le m au lieu du n. »
Pour tenter de dater le changement de graphie en France, il faudrait feuilleter de vieux dictionnaires de noms propres. Dans mon Robert 2 de 1997, on trouve bien « Johannes Gensfleisch, dit Gutenberg ».
Le respect de la graphie originelle des noms étrangers fait débat sur Wikipédia1, au Sénat2 et chez les traducteurs3. Bruno Dewaele, champion d’orthographe, appelle à une uniformisation de nos dictionnaires4.
Dans son Dictionnaire d’orthographe et d’expression écrite, André Jouette (☞ voir mon article) précise :
« Il règne une certaine incohérence dans notre adoption de noms propres étrangers. […] Ne cherchons pas de règle logique : selon les époques, l’usage s’est imposé. »
Gutenberg/Gutemberg, c’est un peu le même problème que Beijing/Pékin5, Mumbai/Bombay6 ou Kolkata/Calcutta7.
Une incohérence qui a amené les pouvoirs publics à publier l’arrêté du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d’États et de capitales (Wikipédia), dont les premiers principes sont :
La forme recommandée pour la désignation des pays et des capitales est la forme française (exonyme) existant du fait de traditions culturelles ou historiques francophones établies.
En l’absence d’exonyme français attesté, on emploiera la forme locale actuellement en usage. Pour les pays qui n’utilisent pas l’alphabet latin, la graphie recommandée est celle qui résulte d’une translittération ou d’une transcription en caractères latins, conforme à la phonétique française.
Les noms de pays et de villes étant des noms propres, il est recommandé de respecter la graphie locale en usage, translittérée ou non. On ne portera cependant pas les signes diacritiques particuliers s’ils n’existent pas dans l’écriture du français.
La tendance étant au respect des cultures étrangères, Johannes Gutenberg ne devrait plus être francisé. Et Miguel Cervantès8, combien de temps encore gardera-il son accent grave en français ?
« Saviez-vous qu’il existât une édition numérique […] de l’Encyclopédie ? » ai-je spontanément écrit, hier, dans un billet sur LinkedIn ?
La formulation a dû en surprendre plus d’un, à l’heure où, dans une phrase comme celle-ci, même l’imparfait de l’indicatif (qu’il existait) est détrôné par le présent (qu’il existe).
Mais la fréquentation des auteurs du xixe siècle déteint sur moi, et je me suis dit qu’au moment d’évoquer une œuvre majeure du xviiie siècle, il était approprié d’employer une langue soutenue.
Ne fallait-il pas là le passé simple (qu’il exista), plutôt que l’imparfait du subjonctif, m’a demandé un « correcteur en devenir » ?
« Saviez-vous qu’il exista, à une époque de notre histoire, une technique funéraire consistant à séparer le corps d’un défunt de haut rang en plusieurs parties ? […] »
Jules Claretie vers 1860. Source : BnF/Gallica.
Mais la radio se référait à un fait historique, alors que l’édition numérique de l’Encyclopédie est bien un objet actuel, comme existe toujours la Société pour la propagande de la boxe anglaise, au moment où Jules Claretie écrit, dans La Vie à Paris (le 25 mars 1910) :
« Saviez-vous qu’il existât une Société pour la propagande de la boxe anglaise ? Je l’ignorais jusqu’à présent et je l’ai appris, l’autre soir, en allant assister au grand match entre Willie Lewis et Billy Papke dans le vaste cirque de l’avenue de La Motte-Picquet. »
De même, alors qu’on écrirait aujourd’hui je voudrais qu’il existe (subjonctif présent, mode entraîné par l’expression d’un souhait), Balzac écrit, lui :
« Je voudrais qu’il existât un langage autre que celui dont je me sers, pour t’exprimer les renaissantes délices de mon amour […] » — Louis Lambert, Pl., t. X, p. 434.
C’est la concordance classique.
Plus surprenant encore paraît, de nos jours, le subjonctif hypothétique en début de phrase. Les Plût à Dieu que…, Dussé-je…, Fussé-je…, voire, au présent, Je ne sache pas que…
Ces formes étonnent mes jeunes confrères, mais ils se doivent de les connaître — à défaut de les employer eux-mêmes —, car ils peuvent les rencontrer dans la réédition d’un texte ancien ou même sous la plume d’un auteur contemporain. Exemple :
« Derrière les contrevents clos, j’attendais que la pénombre m’entraînât dans une sieste encombrée de songes. » — Gaël Faye, Il faut tenter de vivre, 20158.
Je leur recommande donc de se pencher sur une grammaire complète, comme la Grammaire méthodique du français (PUF), un peu aride mais, à mon avis, indispensable.
Ces formes littéraires classiques, il serait fâcheux qu’ils les corrigeassent (au passé, si l’on est passé près de la catastrophe, il eût été fâcheux qu’ils les eussent corrigées9).
La diffusion épidémique de la préposition sur n’est plus une nouveauté. Penser à je travaille sur Paris (formule à laquelle j’ai consacré un article) et à la désormais célèbre locution on est sur… (par exemple, sur un foie de veau, voir la chronique de Muriel Gilbert).
Mais voici quelques curieuses extensions d’emploi de sur, tirées du procès-verbal d’une réunion d’une CSSCT10 :
Le point de vente était en rupture sur un produit d’entretien, c’est pourquoi ils sont allés sur un autre point de vente pour récupérer du produit pour effectuer leur lavage. Ce produit a été transvasé dans un récipient type gobelet. Le gobelet a été ramené sur Pierre Hermé et a été posé à côté du lavabo, endroit où un collaborateur effectuait son nettoyage. Vu qu’il s’agissait d’un gobelet standard sans indication particulière, la victime, en voyant le gobelet, a pensé que c’était du jus de fruit et en a bu une gorgée11.
On y constate sur un produit d’entretien mis pourd’un produit d’entretien,surun autre point de vente mis pour dans(ou à) un autre point de vente et, surtout, sur Pierre Hermémispourdans (ou à) la boutique Pierre Hermé, ce qui constitue un raccourci particulièrement audacieux.
L’effet involontairement comique de tels énoncés semble échapper aux locuteurs.
Accompagner est un mot à la mode. Les services administratifs comme les cabinets-conseils ne vous aident plus dans votre vie personnelle ou professionnelle, ils vous accompagnent. Et cela tord parfois la langue. On rencontre des accompagner à + infinitif.
Image extraite d’une vidéo d’une thérapeute caennaise : « Pourquoi je peux t’accompagner à passer d’un statut de salarié à un statut d’indépendant à succès ».
Jusqu’alors, on accompagnait quelqu’un pour qu’il fasse quelque chose. Et si on l’accompagnait à, cela était suivi d’un nom de lieu (à la gare, à la mairie…).
La préposition sur étant aussi devenue à la mode, désormais, on vous accompagne sur… sur le choix de votre activité, sur un statut professionnel, etc.
Accompagner quelqu’un, c’était l’escorter, lui servir de guide. On l’accompagnait jusqu’à sa voiture comme… à sa dernière demeure. Depuis une vingtaine d’années, on vous accompagne dans vos démarches.
Fréquence de accompagne dans vos dans le corpus de Gallicagram.
Le verbe s’employait aussi en soins palliatifs. Accompagner un malade, c’était « l’entourer, le soutenir moralement et physiquement à la fin de sa vie » (Robert).
Si nous avons tous tellement besoin d’être accompagnés, n’est-ce pas une preuve que le monde est bien malade ?
Chapô récent d’un article du Monde. Faut-il écrire piquant ou piquants ?
Un récent article du Monde12 me donne l’occasion d’évoquer un cas de grammaire litigieux. Son existence même est peu connue, même des professionnels de l’écrit, dont les correcteurs.
« Dans un roman graphique des plus piquant […] », écrit le quotidien. Fallait-il écrire piquants ?
Cette hésitation est ancienne. Dans la correspondance de Stendhal, par exemple, on trouve à la fois L’état sanitaire de cette ville [= Marseille] et de Lyon est des plus satisfaisant(t. VIII, p. 14) et L’intérêt était des plus minimes (t. IX, p. 269).
Même « avec un singulier distinct phonétiquement du pluriel » (Grevisse, § 993 g), on trouve aussi bien Le gros public s’étonne toujours qu’un homme, sur un point, puisse être extravagant, et sur tous les autres des plus normal (Montherlant) que Je le tiens pour un écrivain des plus moraux (A. France).
Pour la GMF (voir sigles en bas de page), l’accord au singulier est « sporadique ».
Quelle est la règle ?
Si l’on creuse la question, on se rend vite compte que la règle est diversement édictée par les grammairiens et lexicographes. Lançons-nous.
Chez Jouette, on trouve à plus : Un accueil des plus cordiaux ou « avec la valeur de très », un accueil des plus cordial. Mais comment trancher ? Et dans l’encadré Le superlatif : « Après des plus […] l’adjectif se met au pluriel si le sujet est nettement déterminé. […] Un accueil des plus cordiaux. […] Si l’on trouve le singulier dans ce cas, c’est contre l’Académie. » Nous voilà peu éclairés.
Observateur de l’usage, Le Petit Robert distingue toujours le superlatif relatif des plus – « parmi les plus. Il n’est pas des plus malins. « c’était quelqu’un dont le commerce était des plus aimables » (Cliff) » – de l’usage adverbial : « Extrêmement (adj. souvent au sing.). La situation est des plus embarrassante. »
Le Grand Robert, lui, ne traite le second cas qu’en remarque : Chez « certains auteurs », quand l’expression des plus est prise « au sens de “au plus haut point”, l’adjectif rest[e] alors au singulier s’il y a lieu. […] Ce spectacle est des plus immoral […]. » Une seconde remarque signale un cas particulier : « Si l’adjectif se rapporte à un pronom neutre, il reste généralement au singulier. »
Cette dernière règle est plus affirmée chez Hanse et Blampain (à adjectifs qualificatifs, 2.6) : « Il [l’adjectif] se met toujours au singulier […] s’il se rapporte à un pronom neutre : Il lui était des plus difficile de s’abstenir. Cela est des plus naturel. »« C’est l’usage général et logique », commentent-ils. C’est aussi « tout à fait logique pour Le Grevisse de l’étudiant (De Boeck, 2018, p. 238). Ex. donné : Ce n’est pas des plus facile.
Passons à Girodet, arbitre des élégances. « Que le nom soit au singulier ou au pluriel, l’adjectif se met normalement au pluriel et s’accorde en genre avec le nom : Ce procédé est des plus légaux. Ces procédés sont des plus légaux. Cette femme est des plus belles. Ces femmes sont des plus belles. Voilà une maison des plus élégantes. — En revanche, invariabilité quand l’adjectif se rapporte à un pronom neutre ou à un verbe : Cela n’est pas des plus facile. Il lui est des plus naturel de se conduire en galant homme. Connaître le secret du code n’était pas des plus compliqué. »
Même règle pour Péchoin et Dauphin (Larousse) : « S’il se rapporte à un verbe ou à un sujet neutre, l’adjectif reste invariable : Il n’est pas des plus facile d’arrêter de fumer. « Naturellement invariable », disait déjà Thomas (Larousse, 1956).
Cette règle n’est entrée dans le Dictionnaire de l’Académie qu’à la dernière édition : « L’adjectif se met au singulier lorsque le sujet est un pronom neutre ou un infinitif. Cela est des plus vraisemblable.Se conduire ainsi me semble des plus cavalier. »
Tout cela est bien compliqué !
Qu’est-ce qui explique cette exception ?
« Quand des plus se rapporte à un pronom neutre ou à un infinitif, il ne peut s’analyser comme équivalent de parmi les plus (et impliquer l’ellipse d’un nom exprimé auparavant) » (Grevisse). Lire est des plus agréable.
« Dans ce cas, le pluriel est un peu surprenant, mais il se trouve pourtant. » Trouver un coin paisible n’y est pas des plus faciles (Echenoz, Je m’en vais, p. 11).
Mais revenons au choix du Monde qui a motivé ce billet… Point de pronom neutre ni d’infinitif, dans leur phrase, mais un groupe nominal, un roman graphique.
Péchoin et Dauphin (Larousse) contestent ce choix : « REM. Certains grammairiens, voyant en des plus un superlatif, sans idée de pluriel, ont préconisé une personne des plus brillante, sans s (= une personne brillante au plus haut point). Cette règle peu logique n’est plus suivie aujourd’hui. »
Thomas (Larousse, 1956), dont ils se sont inspirés, le rejetait déjà :
« L’adjectif qui suit des plus (des moins, des mieux) se met en général au pluriel, l’usage ayant écarté les subtilités opposées par les linguistes, qui n’admettaient que le singulier. […] Certains ont estimé que des plus amenait un superlatif, et que par conséquent il n’y avait pas de pluriel dans l’idée : un homme des plus loyal était un homme loyal au plus haut point, le plus loyal possible, extrêmement loyal, etc. “Mais ce n’est pas la règle la plus suivie ni la plus logique” (Larousse du XXe s. [1928-1933]). »
Alors, on fait quoi ?
La locution des plus fait partie des « formes […] devenues inanalysables » (GGF). Elle est devenue « une locution adverbiale intensive » (GMF). « […] originairement superlatif relatif […] [elle] sert simplement à exprimer un haut degré […] (Grevisse).
Ce qui devrait être « normalement au pluriel » pour Girodet se trouve donc au singulier dans Le Monde. « Peu logique » et contraire à l’usage pour les auteurs de Larousse, aussi bien dans les années 1930 qu’aujourd’hui, ce choix est toujours suivi par certains.
Il me semble lire là plutôt une évolution de l’analyse grammaticale qu’une résistance de puristes.
On le constate à l’Académie. En 1935 (8e éd. de son dictionnaire), des plus n’était encore, pour elle, qu’un superlatif relatif : « Parmi les plus. Il est des plus difficiles. Ce travail est des plus délicats. » Aujourd’hui, elle interprète de plus uniquement comme « très, énormément », et laisse le choix de l’accord : « Ce personnage est des plus farfelus.Cette affaire est des plus banales ou des plus banale. »
Quel que soit votre choix, j’espère que vous aurez trouvé dans cet article les arguments pour le justifier.
GMF : Grammaire méthodique du français, PUF, 7e éd., 2018, p. 621 — GGF = Grande grammaire du français, version numérique, ch. VIII, 7.1.3.
Savez-vous qu’il existe en France des gens tellement soucieux de « protéger la pureté de la langue française » qu’ils estiment l’Académie dangereusement laxiste ?
Récemment, sur Quora, quelqu’un prétendait nous interdire d’employer par contre, par conséquent et par extraordinaire, selon lui « grammaticalement incorrects ».
Je l’ai alors renvoyé à l’avis de l’Académie, laquelle écrit :
Loc. adv. Par conséquent, par une suite logique. Vous l’avez promis et, par conséquent, vous y êtes obligé13.
Loc. adv. Par extraordinaire, par exception ou par une circonstance tout à fait inhabituelle, par hasard, par chance. Par extraordinaire, j’étais sorti ce soir-là. C’est un menteur fieffé, mais, cette fois, par extraordinaire, il a dit la vérité14.
Par contre, en revanche, d’un autre côté, en contrepartie, en compensation, à l’inverse.
Remarque : Condamnée par Littré d’après une remarque de Voltaire, la locution adverbiale Par contre a été utilisée par d’excellents auteurs français, de Stendhal à Montherlant, en passant par Anatole France, Henri de Régnier, André Gide, Marcel Proust, Jean Giraudoux, Georges Duhamel, Georges Bernanos, Paul Morand, Antoine de Saint-Exupéry, etc. Elle ne peut donc être considérée comme fautive, mais l’usage s’est établi de la déconseiller, chaque fois que l’emploi d’un autre adverbe est possible15.
Pour ma part, j’écris par contre si je veux. Dans mes travaux de correcteur, je ne le remplace par en revanche que si l’éditeur l’exige. Le client est roi.
Mais je ne peux m’empêcher de garder en tête l’excellent exemple d’André Gide : « Trouveriez-vous décent qu’une femme vous dise : Oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai perdu mes deux fils ?16 »
« En effet, par contre marque une simple opposition entre deux énoncés, alors que en revanche et en compensation, en plus de marquer l’opposition, introduisent normalement un énoncé présentant un avantage. On peut donc difficilement utiliser ces locutions devant une proposition exprimant un désavantage ou un inconvénient. Dans ce contexte, il est inutile de chercher à éviter la locution par contre », détaille la Vitrine linguistique.
De même, je ne corrige plus le second accent d’évènement, depuis que l’Académie a enfin rectifié (soit dans la dernière édition de son dictionnaire17) une erreur qui a duré trois siècles18.