Simon Arbellot, jeune journaliste, descend à l’imprimerie (1919)

"Journaliste !", de Simon Arbellot, La Colombe, 1954

Jour­na­liste et écri­vain, Simon Arbel­lot (1897-1965) raconte sa car­rière dans Jour­na­liste ! (Paris, La Colombe, éd. du Vieux Colom­bier, 1954, 111 p.). Après un « court stage, entre amis » au Monde illus­tré, il débute en 1919 au Petit Jour­nal, pour « une année de sévère appren­tis­sage », puis entre au Figa­ro, « qu’il quitte au début des années 1930 pour le jour­nal Le Temps et la revue Docu­ments. […] Sous l’Occupation, il est nom­mé direc­teur de la presse au minis­tère de l’Information à Vichy de 1940 à 1942, puis consul géné­ral de France à Mala­ga de 1943 à 1944. […] Après la guerre, il contri­bue­ra à divers titres de presse, comme Écrits de Paris, Le Cha­ri­va­ri, ou encore La Revue des Deux Mondes » (Wiki­pé­dia).

Dans un pas­sage où il évoque son arri­vée au Petit Jour­nal (cha­pitre pre­mier), il men­tionne le tra­vail auprès des ouvriers de l’im­pri­me­rie, des secré­taires de rédac­tion et des correcteurs.

“Au fait dès la première ligne”

« […] pour un jeune gar­çon ambi­tieux et pres­sé, l’ap­pren­tis­sage est dur. C’est d’a­bord la perte de la liber­té. Il faut renon­cer à toute obli­ga­tion qui ne soit pas professionnelle […].

« Il y a aus­si les per­ma­nences, les inter­mi­nables per­ma­nences pour le cas où il se pas­se­rait quelque chose. Comme elle est triste, à minuit et demi, cette salle de rédac­tion, main­te­nant déserte, qui sent le vieux papier et le culot de pipe ! Face au télé­phone il faut attendre et, dans les feuilles d’a­gence qui s’a­mon­cellent, décou­vrir le fait nou­veau qu’on réécri­ra d’ur­gence et qu’on enver­ra aux machines. […]

« Tra­vail obs­cur et sans gloire du débu­tant, mais néces­saire étape. Il ne s’a­git plus, ici, de dis­ser­ta­tion phi­lo­so­phique, mais d’in­for­ma­tion. Écou­tons les conseils de ce vieux bar­bu déco­ré [le rédac­teur en chef] :
[…]
— Pas de péri­phrases, entrez dans le vif du sujet. Vous n’êtes pas là pour faire de la lit­té­ra­ture, vous écri­vez pour les lec­teurs, pas pour vous, ni pour votre petite amie. Au fait, au fait dès la pre­mière ligne.

« Et le crayon rouge biffe, sans nulle consi­dé­ra­tion, la belle phrase du début. Quant à la for­mule bien balan­cée de la fin, elle est livrée à la seule déci­sion du secré­taire de rédac­tion qui, au marbre, sui­vant la place, la conser­ve­ra ou la fera sauter.

“Devant les pages de plomb”

« J’é­prou­vais une grande joie lorsque, de temps à autre, en fin de jour­née, l’un des secré­taires de rédac­tion, vieux bon­homme bar­bu, lui aus­si, char­gé des édi­tions de pro­vince, me fai­sait deman­der à la com­po­si­tion. Avec quel empres­se­ment je des­cen­dais alors dans ce sous-sol où vrom­bis­saient les célèbres machines de Mari­no­ni et où des ouvriers, les bras nus, s’af­fai­raient au marbre, devant les pages de plomb du jour­nal en ges­ta­tion. Il s’a­gis­sait géné­ra­le­ment d’un repi­quage d’une infor­ma­tion que j’a­vais don­née une heure avant, mais qu’il conve­nait de modi­fier sui­vant une dépêche de der­nière heure lâchée par la prin­ting d’Ha­vas1. Là, dans le cli­que­tis des cla­viers, sur un coin de table, res­pi­rant avec délices l’o­deur de la morasse2 toute fraîche, je rec­ti­fiais au crayon la nou­velle, rem­pla­çant le point d’in­ter­ro­ga­tion du titre par une affir­ma­tion, sup­pri­mant un mot ici et là et je ten­dais fiè­re­ment mon épreuve cor­ri­gée à un jeune ouvrier en sueur qui la por­tait tout droit à la linotype.

"Paris – Rue La Fayette et le Petit Journal". Carte postale, s.d.
Paris – Rue La Fayette et le Petit Jour­nal. Carte pos­tale, s.d. Source : Car­to­rum.

« Cette col­la­bo­ra­tion du jour­na­liste et du machi­niste est l’une de mes décou­vertes les plus agréables dans les sous-sols de la rue La Fayette. Le typo­graphe est, en effet, l’a­mi du jour­na­liste et je n’ai connu, dans les dif­fé­rentes impri­me­ries que j’ai, par la suite fré­quen­tées3, que de braves et hon­nêtes gens, prêts à rendre ser­vice, inté­res­sés comme nous-mêmes à la per­fec­tion du tra­vail ; patients devant notre fièvre, com­pré­hen­sifs à nos scru­pules d’au­teurs. À côté d’eux les cor­rec­teurs, sou­vent éru­dits, tou­jours let­trés, sont nos plus pré­cieux auxi­liaires. Et je ne parle pas des fautes d’or­tho­graphe et des erreurs de ponc­tua­tion, menue mon­naie, qu’ils relèvent avec indul­gence, même dans les articles des aca­dé­mi­ciens ; mais s’a­git-il d’une cita­tion, d’une date, d’un mot étran­ger, d’un chiffre dont l’au­then­ti­ci­té ou l’emploi leur paraît sus­pect, alors c’est avec infi­ni­ment de tact qu’ils abordent le délin­quant : “Ne croyez-vous pas qu’il convien­drait de rectifier ?”

« Com­bien d’au­teurs célèbres doivent au cor­rec­teur de n’a­voir pas eu à rou­gir le len­de­main matin d’une bourde échap­pée à leur plume trop rapide.

“L’heure de la brisure”

« Quand la chance vou­lait que je me trouve au marbre à l’heure de la “bri­sure”, court repos entre deux ser­vices, c’est bien volon­tiers que j’al­lais avec les ouvriers dans le petit café d’à côté — il y a tou­jours un petit café à côté des impri­me­ries — boire avec eux, cette fois sur le zinc, le verre de rouge de la col­la­bo­ra­tion. Ces gens-là vous feraient, à eux seuls, aimer le métier de jour­na­liste, les anciens parce qu’ils ont beau­coup vu et beau­coup obser­vé, les jeunes parce qu’ils ont le goût de leur tra­vail et le res­pect de ses tra­di­tions. Com­bien de fois, bavar­dant avec eux, ai-je sou­hai­té de deve­nir, moi aus­si, un jour un grand jour­na­liste et de remettre dans leurs mains habiles, non plus quelques lignes de banale infor­ma­tion mais une belle chro­nique dont j’é­tais assu­ré qu’elle serait l’ob­jet de tous leurs soins atten­tifs ! On avait tel­le­ment l’im­pres­sion que le met­teur en page et ses aides étaient aus­si fiers que nous d’une pré­sen­ta­tion réus­sie, d’un jour­nal au point ! Et sou­vent l’a­mi­tié d’un ouvrier de l’im­pri­me­rie nous ven­geait des mes­qui­ne­ries de l’ad­ju­dant de quar­tier, fût-il paré du titre de rédac­teur en chef et déco­ré des palmes académiques. »

☞ Voir aus­si « L’imprimerie d’un jour­nal pari­sien dans les années 1960 ».

Le Petit Jour­nal. Ser­vice de la Cli­che­rie de l’Im­pri­me­rie Mari­no­ni. Carte pos­tale, s.d. Dif­fu­sion sous licence CC BY-NC-SA 2.0.

Plus d’i­mages sur un site Web consa­cré au Petit Jour­nal.


  1. Le télé­scrip­teur de l’a­gence Havas, ancêtre de l’AFP. ↩︎
  2. Épreuve gros­sière, le plus sou­vent réa­li­sée à la brosse. On voit le tirage d’une morasse dans le film L’Homme fra­gile (voir mon article illus­tré). ↩︎
  3. J’ai res­pec­té la ponc­tua­tion d’o­ri­gine. ↩︎