Les correcteurs se battent volontiers pour une virgule en plus ou en moins. Justement, hier, un billet de Jean-Pierre Colignon évoquait ce sujet.
La ponctuation est une affaire de logique, de bon sens, puis aussi de sensibilité, bien sûr. Il est regrettable que la logique toute simple soit si souvent bafouée, par exemple dans une tournure aussi ordinaire que : « Il pensait manifestement qu’en l’état actuel des choses, cette affaire ne mènerait à rien » (Poulets grillés, Sophie Hénaff, Albin Michel, 2015 ; Prix des lecteurs polar du Livre de poche).
Il devrait pourtant sauter aux yeux de tout le monde que la virgule est illogique, coupant brutalement la phrase à “choses” ! Il ne faut aucune ponctuation, ou, sinon, il faut créer une incise, une incidente, entre virgules qui n’interrompt pas le fil de l’expression : « Il pensait manifestement que, en l’état actuel des choses, cette affaire ne mènerait à rien ». (En retranchant les termes mis entre les virgules, il reste une phrase complète, logique : « Il pensait manifestement que cette affaire ne mènerait à rien ».)
« Tournure ordinaire », comme il le dit ; exemple classique de problème pour le correcteur. J’ai souvent tenté de restaurer l’incise ; et, si l’auteur repassait derrière moi, il refusait parfois ma correction. Pourquoi ? Il ne reconnaissait plus sa prose. Supprimer la virgule n’est pas toujours une meilleure solution, quand l’incidente est longue.
Les auteurs mettent une virgule parce qu’elle correspond à une respiration. Ce n’est pas strictement conforme à l’analyse grammaticale, mais cela répond à leur sensibilité, terme employé par Colignon dans sa première phrase…
J’ai été plus assertif dans mon parcours professionnel, sans doute fier de connaître les règles et de les appliquer. La fréquentation des écrivains m’a appris la nuance, confirmée par la lecture de Grevisse et de Drillon.
Chaque correcteur est responsable de ses choix et doit les assumer, même être prêt à les défendre. J’assumerais, pour ma part, de laisser l’auteur respirer.
J’ajouterais que j’ai beaucoup appris en écrivant moi-même – modestement, des notes personnelles, des mails ou des interventions en ligne. Observons en écrivant que nous préférons un mot à un autre, une tournure à une autre, une ponctuation à une autre. Cela ne nous empêche de corriger les autres, mais cela nous rend moins interventionnistes.
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