Tout correcteur ayant un peu d’expérience vous énoncera cette vérité : ce sont les auteurs de piètre talent qui montrent le plus de résistance à son intervention sur leur texte. Nul ne l’a mieux exprimé que le grand réviseur québécois Jean-Pierre Leroux, avec son humour et son franc-parler, dans un article de 1985, « Exercices de révision ». Voici l’extrait en question.
Curieusement, les auteurs les plus médiocres sont ceux qui jettent des cris dès qu’on signale dans leurs chefs-d’œuvre une impropriété ou une structure de phrase branlante. Ils veulent assimiler leur ignorance de la grammaire et de l’orthographe à une liberté toute créatrice. L’effronterie ne cédant en rien à la paresse, ils vont jusqu’à présenter leurs torchons aux éditeurs, lesquels éditeurs en font des livres, lesquels livres s’attirent des éloges, lesquels éloges aident ces fumistes d’auteurs à obtenir prix, bourses, tournées de conférences, mais faites qu’on ne me laisse jamais la chance d’approfondir la question ou de fournir une liste de noms. (Exercice 8. Expliquez en vertu de quoi plus un texte est mal foutu, plus l’auteur est soupçonneux, plus la révision est ingrate, mal payée, insatisfaisante, et plus l’éditeur vous met des bâtons dans les roues.) (Exercice 9. Expliquez pourquoi, lorsqu’un livre est bien révisé, les critiques littéraires estiment que l’auteur a du talent et pourquoi, lorsqu’un livre est mal révisé, ils considèrent que l’éditeur n’a pas fait son travail. […] Quant aux auteurs consciencieux, baume sur mon cœur endolori, ils ne pensent pas que le fait de se renseigner sur le sens des mots rende le travail d’écriture moins passionnant. Mieux : ils sont redevables au réviseur qui identifie leurs lacunes, leurs tics ; ils préfèrent en effet consolider leur ouvrage plutôt que leur ego, qui ne se trouve absolument pas déshonoré d’avoir appris quelque chose.
Leroux, Jean-Pierre, « Exercices de révision », Liberté, 162 (27, 6), décembre 1985, p. 15-16. URL : <http://www.erudit.org/culture/liberte1026896/liberte1034163/31304ac.pdf>.
☞ Lire aussi mon article Le Gardien de la norme, de Jean-Pierre Leroux.
☞ Lire aussi « L’affaire du shako » suivi de « Premier (et dernier ?) lecteur » dans Défense d’un “être hybride”, le correcteur, 1864.