« Dans le peu de temps libre qu’il lui restait, après avoir expurgé son énième livre, Fantino se baladait dans la ville en scrutant les affiches et les enseignes des magasins, les inscriptions sur les murs. Il n’était pas content tant qu’il n’avait pas trouvé une erreur, même petite, même insignifiante et ridicule : pour chaque quartier, il se contentait d’une apostrophe oubliée, d’une petite virgule. Alors il rentrait chez lui et disait : ça suffit pour aujourd’hui. Mais ensuite, une fois au lit, sa manie le reprenait, alors il rallumait la lumière et il commençait à éplucher les annuaires du téléphone, cinquante, soixante colonnes à chaque fois. Il lui fut facile de comprendre que Monsieur Mariani Parlo était en réalité Mariani Carlo. Quiconque doté d’un peu de patience pouvait saisir cela. Il lui fallut un peu plus de métier pour localiser le numéro de téléphone erroné d’une alimentation : il ne pouvait pas commencer par sept, dans cette zone-là de la ville. Cela devait être un cinq : le matin, il appela le magasin pour vérifier son hypothèse. Il commanda une bouteille de vin rouge très coté et la but au goulot, en se félicitant dans son for intérieur. »
Extrait de la nouvelle « Le Correcteur », de Marco Lodoli, dans Boccacce, traduit de l’italien par Lise Chapuis et Dino Nessuno, illustrations d’Alban Caumont, L’Arbre vengeur, 2007, p. 49-52.
Il n’y a que les romanciers pour imaginer un correcteur infaillible. J’en connais au moins un autre en littérature : le « Professore » de George Steiner, dans Épreuves (voir le résumé dans ma sélection « Le correcteur, personnage littéraire »). Curieusement, lui aussi italien.
Dans la vraie vie, je n’en ai pas connu. Par contre, il est vrai que nous sommes nombreux à avoir du mal à décrocher, comme le raconte aussi Muriel Gilbert, dans Au bonheur des fautes.
Fantino et le Professore sont liés par un point commun. Un triste constat : « Que d’imprécisions dans le grand livre du monde, […] et quelle souffrance de ne pouvoir les corriger. »