Selon certains experts de la typographie, comme Fernand Baudin, les lignes d’un texte justifié1 se terminant par un signe de ponctuation simple ou une division (un trait d’union, en langage courant) paraissent légèrement en retrait. D’autres parlent d’« impression de trou2 ».

Ce « problème », auquel je n’étais pas sensible jusqu’ici — comme beaucoup, j’imagine —, peut aujourd’hui être résolu « techniquement, économiquement et esthétiquement3 », si l’on utilise le logiciel de mise en page Adobe InDesign4. Celui-ci propose, en effet, une option appelée « alignement optique des marges », dont voici l’explication :
L’alignement des bordures gauche et droite des colonnes contenant des signes de ponctuation et des lettres telles que « W » peut sembler altéré. L’alignement optique des marges permet de contrôler si les signes de ponctuation […] et le bord de certaines lettres (telles que W ou A) sont en retrait à l’extérieur des marges, de façon à ce que le texte semble aligné5.
Elle est accompagnée de cette illustration :

Cette « technique typographique sophistiquée », le site MyFonts l’appelle « ponctuation suspendue », ou « accrochée », ou encore « hongroise » (sans expliquer ce dernier terme). Il précise que « les signes de ponctuation généralement suspendus sont les points, les virgules, les traits d’union, les tirets, les guillemets et les astérisques », c’est-à-dire des « glyphes sans grande masse verticale ».
On active cette option dans InDesign par le chemin suivant : menu Texte > Article > Alignement optique des marges.
Deux exemples français récents
Bien qu’elle soit facile d’accès, cette technique est rarement mise en œuvre. J’en ai trouvé un exemple dans un livre édité récemment par l’Imprimerie nationale (Impressions, 2021, p. 79) :

L’hebdomadaire culturel Télérama l’emploie également :

Le Guide du typographe (suisse romand) explique l’alignement optique (7e éd., 2015, § 1028, p. 264) et l’applique dans ses pages6.
Une pratique ancienne
Mais il s’agit de la restauration d’un usage qui remonte aux origines de l’imprimerie : on peut l’observer dans la Bible de Gutenberg ! Les coupures de mots en fin de ligne y sont marquées par deux traits obliques7, lesquels viennent dans la marge. (Le nombre de divisions successives n’est pas encore limité à trois, comme aujourd’hui : c’est la régularité de l’espacement qui prime8.)

NB — Je fête avec ce texte mon 300e article.
- C’est-à-dire aligné à gauche et à droite. ↩︎
- Association GUTenberg, « Comment améliorer la qualité typographique de son document ? », FAQ LaTeX, 23 novembre 2024. ↩︎
- Fernand Baudin, L’Effet Gutenberg, éd. du Cercle de la librairie, 1994, p. 81. ↩︎
- Selon l’Association GUTenberg (page citée), on peut aussi programmer ce dépassement dans la marge en LaTeX. Il est nommé character protrusion dans la documentation en anglais. ↩︎
- Adobe InDesign, manuel en ligne, chapitre « Mise en forme des paragraphes », paragraphe « Création de ponctuation en retrait ». ↩︎
- Je remercie Catherine Magnin, présidente de l’Association romande des correctrices et correcteurs d’imprimerie (ARCI), de me l’avoir rappelé. ↩︎
- Je retrouve ainsi l’un des signes, qui m’étaient alors inconnus, dont j’avais mentionné l’existence dans l’article « Sur l’enterrement discret d’un grand modeste, le trait d’union ». ↩︎
- Passionné par la question de l’espacement, Fernand Baudin cite volontiers le correcteur typographe Désiré Greffier : « L’espacement régulier des mots est la première qualité d’une bonne composition typographique. […] il vaudrait mieux faire une mauvaise division qu’un mauvais espacement. […] la première règle d’unité en typographie, après l’orthographe, est l’interlignage et l’espacement réguliers. » Les Règles de la composition typographique, Arnold Muller, 1897, p. 4-7. ↩︎