
Roland Passevant (1928-2002) est un journaliste français, spécialisé dans le domaine sportif, puis dans l’investigation politique. […] En 1954, il rejoint L’Humanité-Dimanche, puis L’Humanité : il dirige, à partir de 1963, le service des sports de ce quotidien. (Wikipédia).
Dans ses Mémoires, intitulés Même si ça dérange (Paris, Robert Laffont, 1976, 326 p.), il raconte (p. 28-30) ses débuts à L’Humanité-Dimanche, où il s’initie au secrétariat de rédaction sur les pages départementales : « […] je consacre quelques heures par semaine à modeler les pages de la Dordogne, de la Drôme et du Gard, mes trois coins de province. »
« Revenons au petit journaliste débutant. […] Sa panoplie, hors du stylo, comprend un lignomètre et un typomètre, d’ordinaire réservés au secrétaire de rédaction et au maquettiste. Le lignomètre permet d’évaluer, sur la maquette, la capacité de lignage d’un emplacement, suivant les différents calibres de caractères. Le typomètre, outil privilégié du typographe, ramène tout au cicéro, mesure de base de l’imprimerie.

Le secrétaire de rédaction crée la page
« Savoir calibrer un article, commander un titre, un cliché, et voilà le débutant presque bon pour le service. Il connaît le terrain, l’usage que l’on fait du texte, son traitement. Le plus dur reste à faire. L’art d’écrire juste, celui de rédiger un titre, de le travailler, d’en extraire l’élément choc, sont des exercices de longue haleine.

« En 1954, à la rédaction de l’Humanité-Dimanche, ces exercices nous sont imposés par la fabrication, à Paris même, de toutes les pages départementales qui ont pour mission de régionaliser le magazine, d’y intégrer la couleur locale. Chaque rédacteur, responsable de trois à quatre pages départementales, reçoit la copie de province, généralement accompagnée d’une amorce de maquette. À lui de jouer, d’enrichir le projet de mise en page, d’installer l’éditorial, d’équilibrer les éléments photos, de choisir les caractères, de tailler les trop longs articles sans en altérer le contenu. C’est le travail d’un secrétaire de rédaction, précieux pour le jeune journaliste qui s’imprègne des notions de distance, de présentation, qui perçoit mieux l’aspect esthétique du journal. Son rôle ne se limite pas à manœuvrer du typomètre et du lignomètre, mais le conduit à apprécier textes et titres, à proposer d’éventuelles améliorations à la rédaction en chef.
« Le secrétaire de rédaction qualifié, faut-il immédiatement préciser, n’est pas un simple metteur en page. Il participe, de manière active, la plus ingénieuse possible, à la création de la page. Responsable de la “vitrine”, il collabore étroitement avec le chef de service. […]
“L’air manque et la place aussi”
« […] Lorsqu’on découvre le “marbre”, atelier de composition de l’imprimerie, on y voit de tout, sauf du marbre. Les tables de travail sont en fonte et le plomb est roi.
« Dans l’heure précédant l’envoi de la forme vers la presse, secrétaires de rédaction et rédacteurs collaborent là à la phase finale de fabrication.
« La mise en forme ne se fait pas en se gonflant les poumons, ni en se musclant le jarret — l’air manque et la place aussi. La forme est un cadre de fonte aux dimensions réelles de la page. Le typo travaille côté tête de page, le rédacteur côté bas de page.
« Les articles, composés par le linotypiste (un typo assis, qui tire les lettres de son clavier, comme une dactylo), placés dans des “galées”, soumis à un encrage et à une première empreinte par le “plombier” (un typo-dispatcher, vers lequel converge tout le plomb à nettoyer et classer), arrivent vers les pages, accompagnés d’épreuves qu’utilisent correcteur, journaliste et typographe pour contrôler et rectifier le texte.
Dernières corrections sur la morasse
« Le travail touche à sa fin lorsque le typographe, par petits coups rythmés, avec une brosse spéciale munie d’un long manche, imprime l’ensemble de la page. Ainsi née [sic] la “morasse” qui donne la première vue globale de la page et sert aux derniers contrôles, aux dernières corrections. Ce roulement des battages de brosse, c’est le sprint du “typo”.
« Le “marbre”, royaume du plomb, c’est pour chaque édition ce tête-à-tête d’une heure ou deux, perturbé par les exigences de l’actualité qui commande et impose d’incessantes retouches. C’est une curieuse ambiance de travail, mélange de bonne humeur, d’engueulades brèves mais explosives, de coups de gueule et de coups à boire. On y respire l’air vicié par les émanations de plomb fondu, mais on y sent bien vivre le journal. On y éprouve les émotions ressenties près du chauffeur de la locomotive, en tête du train. »
☞ Voir aussi « L’imprimerie d’un journal parisien dans les années 1960 ».