Covid-19 et gestes barrières

Le 7 mai 2020, l’A­ca­dé­mie fran­çaise publiait sur son site, dans la rubrique « Dire, ne pas dire », un avis sur le genre de Covid-19. En voi­ci les der­nières lignes : 

On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équi­valent du nom fran­çais fémi­nin mala­die. Pour­quoi alors l’emploi si fré­quent du mas­cu­lin le covid 19 ? Parce que, avant que cet acro­nyme ne se répande, on a sur­tout par­lé du coro­na virus, groupe qui doit son genre, en rai­son des prin­cipes expo­sés plus haut, au nom mas­cu­lin virus. Ensuite, par méto­ny­mie, on a don­né à la mala­die le genre de l’agent patho­gène qui la pro­voque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du fémi­nin serait pré­fé­rable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redon­ner à cet acro­nyme le genre qui devrait être le sien.

Cette recom­man­da­tion a sus­ci­té des débats dans les médias, et cer­tains jour­na­listes l’ont aus­si­tôt sui­vie. J’é­tais plu­tôt de ceux1 qui pen­saient qu’elle venait trop tard et for­çait l’u­sage déjà bien établi. 

Un inté­res­sant article de France Culture, créé pré­cé­dem­ment mais modi­fié le 18 mai, revient sur cette ques­tion. On y apprend, entre autres, que le pré­ten­du « avis de l’A­ca­dé­mie fran­çaise » serait dû à la seule plume de sa secré­taire per­pé­tuelle, aus­si res­pec­table soit-elle. Tiens donc ! Les avis des lin­guistes inter­ro­gés sont plus nuan­cés et penchent pour le mas­cu­lin, du moins en France

Les cor­rec­teurs du Monde ont aus­si choi­si le masculin.

Enfin, le 27 sep­tembre, un billet de la direc­trice édi­to­riale du Robert rap­pelle : « Cet acro­nyme a été créé en anglais, langue qui ne connaît pas de genre pour les sub­stan­tifs, et il n’a pas été pré­ci­sé s’il devait être fémi­nin ou mas­cu­lin dans les tra­duc­tions. […] L’usage en France est majo­ri­tai­re­ment mas­cu­lin, pro­ba­ble­ment sous l’influence de virus, les sigles en fran­çais adop­tant le plus sou­vent le genre du pre­mier mot. »

Le 21 jan­vier 2021, Ouest-France a pro­po­sé une carte2 de l’u­sage en France. Elle est parlante : 

La ques­tion de la bonne gra­phie des gestes barrière(s) cir­cule aus­si sur Internet :

L’Aca­dé­mie fran­çaise (ou sa secré­taire per­pé­tuelle ?) écrit :

S’agissant de geste bar­rière, on peut consi­dé­rer que ces gestes forment une bar­rière et pré­fé­rer le sin­gu­lier, mais dans la mesure où l’on peut aus­si dire que ces gestes sont des bar­rières, l’accord au plu­riel semble le meilleur choix, et le plus simple. On écri­ra donc des gestes barrières.

Dans sa der­nière édi­tion, Le Petit Robert fait le même choix :

Geste, mesure bar­rière : pré­cau­tion prise dans la vie quo­ti­dienne pour limi­ter la pro­pa­ga­tion d’un virus, d’une mala­die. Res­pec­ter les gestes bar­rières.


Surprenant mélange de temps verbaux chez Perrault

Vous vous sou­ve­nez de La Belle au bois dor­mant ? Sans doute. Mais vous sou­ve­nez-vous que Charles Per­rault y passe allè­gre­ment du pas­sé au pré­sent ? (Je mets en gras les verbes au pré­sent ; les autres sont au passé.)

Le jeune prince, à ce dis­cours, se sen­tit tout de feu ; il crut, sans balan­cer, qu’il met­troit fin à une si belle avan­ture, et, pous­sé par l’amour et par la gloire, il réso­lut de voir sur le champ ce qui en estoit. À peine s’avança-t-il vers le bois que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s’écarterent d’elles-mesmes pour le lais­ser pas­ser. Il marche vers le chas­teau, qu’il voyoit au bout d’une grande ave­nuë où il entra, et, ce qui le sur­prit un peu, il vit que per­sonne de ses gens ne l’avoit pû suivre, parce que les arbres s’estoient rap­pro­chez dés qu’il avoit esté pas­sé. Il ne lais­sa pas de conti­nuer son che­min : un prince jeune et amou­reux est toû­jours vaillant. Il entra dans une grande avan-cour, où tout ce qu’il vit d’abord estoit capable de le gla­cer de crainte. C’estoit un silence affreux : l’image de la mort s’y pre­sen­toit par tout, et ce n’estoit que des corps éten­dus d’hommes et d’animaux qui parois­soient morts. Il recon­nut pour­tant bien, au nez bour­geon­né et à la face ver­meille des suisses, qu’ils n’estoient qu’endormis ; et leurs tasses, où il y avoit encore quelques goutes de vin, mon­troient assez qu’ils s’estoient endor­mis en beuvant.

Il passe une grande cour pavée de marbre ; il monte l’escalier ; il entre dans la salle des gardes, qui estoient ran­gez en haye, la cara­bine sur l’épaule, et ron­flans de leur mieux. Il tra­verse plu­sieurs chambres, pleines de gen­tils-hommes et de dames, dor­mans tous, les uns debout, les autres assis. Il entre dans une chambre toute dorée, et il voit sur un lit, dont les rideaux estoient ouverts de tous cos­tez, le plus beau spec­tacle qu’il eut jamais veu : une prin­cesse qui parois­soit avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat res­plen­dis­sant avoit quelque chose de lumi­neux et de divin. Il s’approcha en trem­blant et en admi­rant, et se mit à genoux auprés d’elle.

Alors, comme la fin de l’enchantement estoit venuë, la prin­cesse s’éveilla, et, le regar­dant avec des yeux plus tendres qu’une pre­miere veuë ne sem­bloit le permettre :

« Est-ce vous, mon prince ? luy dit-elle ; vous vous estes bien fait attendre. »

Éton­nant, non ? Les édi­tions ulté­rieures ont par­fois modi­fié le temps de cer­tains verbes. 

Texte de 1697, pris sur Wiki­source. Gra­vure tirée d’une édi­tion de 1872, sur Gal­li­ca