Chansons du correcteur

Sur Gal­li­ca, je suis tom­bé sur une chan­son du cor­rec­teur signée « Chol­let ». S’a­git-il d’un aïeul de Louis Chol­let, auteur du Petit manuel de com­po­si­tion à l’u­sage des typo­graphes et des cor­rec­teurs (Lyon, Armand Mame et fils, 1912) ? Il n’é­tait pas rare que le métier se trans­mette de père en fils. 

Ce texte sort des presses de l’impri­me­rie de Fain, 4, rue Racine (place de l’O­déon), à Paris, active de 1803 à 1848 (?).

Il est à chan­ter sur l’air de la Treille de sin­cé­ri­té, écrite par Désau­giers (à l’é­poque aus­si célèbre que Béran­ger), dont on trouve la par­ti­tion au Musée vir­tuel de la chan­son maçon­nique

La treille de sin­cé­ri­té est, selon Lit­tré, une « vigne ima­gi­naire dont le vin fai­sait invo­lon­tai­re­ment par­ler avec sin­cé­ri­té ceux qui en buvaient ».

Le Correcteur d’imprimerie

L'homme sage,
Dit un adage,
De son métier se fait honneur: 
Le mien est d'être Correcteur.

Une réforme inopinée
Me fit prendre un jour ce parti; 
De ma nouvelle destinée
L'avantage sera senti: (bis.)
J'affirmerie sans gasconnade
Que c'est l'état le plus charmant, 
Pourvu qu'on ne soit pas malade
Et que l'on vive sobrement.
Je confesse
Que ma paresse
De l'entreprise eut d'abord peur; 
Enfin je devins Correcteur.

En raccourci je vois le monde
Dans notre modeste atelier; 
Tout ce qu'on invente à la ronde, 
Chez nous on vient le publier: (bis.)
Billets de morts ou de naissance,
Roman, mémoire, et cætera,
De nouvelles et de science
C'est un petit panorama.
Par ma tâche,
J'ai sans relâche,
Matin et soir, même bonheur: 
Quel plaisir d'être correcteur!

Je corrige avec même zêle
Un écrit sur l'égalité,
Et maint discours qui nous rappelle
Les dangers de la liberté; (bis.)
De tel ouvrage académique
Le style m'est recommandé,
Et d'une phrase romantique
Le sens est par moi décidé.
Sans médire
Je pourrais dire,
Quand l'ouvrage n'est pas meilleur,
N'accusez pas le Correcteur.

Je puis vanter en assurance
L'exactitude des auteurs,
Et du public la confiance
Aux promesses des éditeurs. (bis.)
J'aurais de quoi sur cette glose
Faire un chapitre tout entier;
Mais je dois me taire, et pour cause:
C'est le secret de mon métier.
Mon silence
N'est que prudence,
Chaque abus a son protecteur,
Je n'en suis pas le Correcteur.

Des substituts à la censure
Quoiqu'on se plaigne de nos jours,
Sans prononcer, je me rassure,
Puisque l'on imprime toujours. (bis.)
Mon goût n'est rien en cette affaire,
Le reste me touche fort peu:
Nonotte aussi-bien que Voltaire
Fera bouillir mon pot-au-feu.
Quand sans crime
Cette maxime
Se pratique et s'apprend par cœur,
Que peut y faire un Correcteur?

Mes confrères de cette esquisse
Reconnaîtront la vérité;
Je suis sans fiel et sans malice,
Et n'ai peint que le beau côté. (bis.)
Chaque chose a le sien de même
Qu'il faut choisir pour être heureux;
Dans mon état j'ai pour système,
Le bien est l'ennemi du mieux.
Mon histoire,
Veuillez le croire,
Sera la vôtre, ami lecteur,
Si vous vous faites Correcteur.
Chollet

Le même Chol­let signe une autre chan­son, « cou­plets chan­tés le 7 juillet 1822, dans une réunion com­po­sée de MM. Casi­mir, prote de l’im­pri­me­rie de M. FAIN ; Pro­vost, Chol­let, Laurent, Bou­vet, Broin, Mayeux, Gui­bert, cor­rec­teurs ». Celle-ci colle à l’air du vau­de­ville en un acte Lan­ta­ra, ou le Peintre au caba­ret (créé en 1809) « À jeun je suis trop phi­lo­sophe ». (J’en cherche encore la partition.)

Les Correcteurs en goguette à Charenton

Certain dimanche, en pique-nique,
De Fain l'état-major piéton,
Octovirat typographique,
S'achemina vers Charenton. (bis.)
Un correcteur peut se mettre en goguette;
Le cas n'est pas commun, je crois;
Il peut quitter le régime et la diète,
Et risque la barbe une fois. (bis.) [des deux dernières lignes]

Pour charmer le cours du voyage,
On fait le menu du repas,
Et chacun, plein de cette image,
Se livre à de joyeux ébats.
Car du plaisir c'est une loi secrète :
Désir passe réalité;
Tout amoureux, tout buveur en goguette
Éprouva cette vérité.

On arrive, on se met à table,
Et l'on débouche le vin vieux.
« Messieurs, quel moment délectable! »
Dit G******, le front radieux.
« Vive une bonne et large côtelette!
» Et vive encor plus le bon vin!
» Puisque, ma foi, nous sommes en goguette,
» Au diable ici grec et latin! »
A cette harangue éloquente
La troupe applaudit de grand cœur;
L'appétit, une soif ardente,
Ont redoublé la bonne humeur.
On te bannit, triste et froide étiquette,
Dont l'aspect fait fuir la gaîté;
Mais qu'à ta place arrive la goguette,
Elle aime à rire en liberté.

La soif avec la faim s'apaise,
Des bons mots vient enfin le tour;
On jase, on discourt à son aise
Sur mainte anecdote du jour.
J'avoûrai bien qu'une langue discrète
Eût parlé sur un autre ton;
Mais le moyen de se taire en goguette,
Et d'être sage à Charenton!

Alors B*****, l'âme attendrie,
(On est si tendre en buvant sec!)
S'écrie: « O France! honneur! patrie!
» Ceci, messieurs, n'est pas du grec....
» La volonté du ciel en tout soit faite.
» J'étais né pour un beau destin!....
» Un jour, hélas! pour suivre la goguette,
» Je laissai la gloire en chemin.»

— « Et moi, répondit un confrère,
» Ai-je eu, mon cher, plus de bonheur,
» Quand, de sous-chef au ministère,
» Je suis retombé correcteur?
» C'est un métier à se rompre la tête,
» Encor n'y boit-on que de l'eau;
» Aussi jamais je ne rêve goguette
» Que je ne rêve à mon bureau.»

— « Messieurs, trêve à cette matière,»
Dit le doyen, homme prudent;
« Pourquoi regarder en arrière,
» Lorsqu'il faut regarder devant?
» Un sage a dit, et je vous le répète:
» Portons notre fardeau gaîment;
» Passons plutôt notre vie en goguette,
» Si notre bonheur en dépend.»

Du bon doyen cette sentence
Est entonnée à l'unisson,
Et de plus belle on recommence
A faire sauter le bouchon.
Noyons, amis, noyons dans la buvette
Du temps passé le souvenir;
Et, vrais enfans de la franche goguette,
Espérons tout de l'avenir.
A.-F. Chollet.

Voir éga­le­ment la Chan­son du cor­rec­teur, de H. Val­lée (1912), repu­bliée par la revue His­to­Livre dans son numé­ro 20, d’oc­tobre 2018.

Enfin, voi­ci le texte de l’hymne des typo­graphes, À la san­té du confrère (dit aus­si « le À la… »), « qui s’en­tonne le verre à la main ». On peut l’en­tendre chan­ter dans cette vidéo You­Tube.

Refrain :
À la !... À la !... À la !...
À la santé du confrère,
qui nous régal' aujourd'hui.
Ce n'est pas de l'eau de rivière
Encor' moins de celle du puits.
À la !... À la !... À la !... 
À la santé du confrère.
qui nous régale aujourd'hui.
Pas d'eau !... Pas d'eau !... Pas d'eau !... 

À la santé d'Baptisse,
Plus l'on boit, plus l'on pisse,
À la santé d'saint Nicolas,
plus l'on boira, plus l'on pissera.

À la !... À la !... À la !... 

À boire !... À boire !... À boire !...
Nous laiss'rez-vous sans boire !...
Non !...
Car les typos n'sont pas si fous,
Pous se quitter sans boire un coup !...

À la !... À la !... À la !...

« Il sem­ble­rait que notre À la remonte au Second Empire. En effet, une loi de Napo­léon III dur­cit l’ap­pli­ca­tion de la loi Le Cha­pe­lier inter­di­sant toute coa­li­tion ouvrière. 
« Exclues des ate­liers, les assem­blées typo­gra­phiques se dérou­lèrent alors au domi­cile des confrères. À leur tour de rôle cha­cun rece­vait ses cama­rades d’a­te­lier autour d’un verre. 
« Lors de ces réunions on por­tait une san­té au confrère amphi­tryon. Cela ne dura que fort peu car les typos retrou­vèrent bien vite le che­min du marbre. 
« Les paroles et la musique de cet hymne typo­gra­phique sont de Adda-Dor­gel et Pad­dy. Quant aux ver­sions alle­mande et anglaise, ce sont des adap­ta­tions libres1

  1. Source : Fil­pac CGT.