À propos des rats de bibliothèque, les vrais

Publicité de la Compagnie des libraires-experts de France (CLEF), parue dans un magazine en juin 1990. Collection personnelle.
Publi­ci­té de la Com­pa­gnie des libraires-experts de France (CLEF), parue dans un maga­zine en juin 1990. Col­lec­tion personnelle.

Vous connais­sez les rats de biblio­thèque, ces per­sonnes qui passent leur vie dans les livres1. (J’ai l’honneur d’en faire partie.)

« Ce sur­nom [leur] est don­né parce que les rats fré­quentent aus­si les biblio­thèques pour gri­gno­ter les livres » (R. Billoux, 1943). On les compte par­mi les « enne­mis du livre2 », avec la cha­leur, l’hu­mi­di­té, cer­tains insectes (vrillettes, pois­sons d’argent, psoques3…) et l’homme, bien sûr4.

Pour un biblio­phile (F. Fer­tiault, 1877), c’est tout le conte­nu du livre qui pro­fite au rat :

« Tout fier d’a­voir grim­pé sur la tête du livre, / C’est avec un entrain féroce qu’il se livre / À son gri­gno­te­ment, vrai gour­met, vrai glou­ton. // Quel régal ! De la marge et du texte il se gave. »

Jean Chevrier, eau-forte illustrant "Bouquins et rats" de François Fertiault, dans "Les Amoureux du livre. Sonnets d'un bibliophile. Fantaisies d'un bibliomane. Commandements du bibliophile. Bibliophiliana. Notes et anecdotes", Paris, Claudin, 1877, n. p.
Jean Che­vrier, eau-forte illus­trant « Bou­quins et rats » de Fran­çois Fer­tiault, dans Les Amou­reux du livre. Son­nets d’un biblio­phile. Fan­tai­sies d’un biblio­mane. Com­man­de­ments du biblio­phile. Biblio­phi­lia­na. Notes et anec­dotes, Paris, Clau­din, 1877, n. p.

Selon un autre biblio­phile (J. Mar­chand, 1940), les rats ne sont pas les plus dan­ge­reux des para­sites du livre :

« Comme leur taille leur défend de per­cer des gale­ries dans le corps des volumes, ces ron­geurs ne gri­gnotent guère que les cou­ver­tures et les bords ; si les marges sont vastes, ils portent dif­fi­ci­le­ment la dent jusqu’au texte : ne crois donc pas qu’ils s’abstiennent d’y tou­cher par res­pect — ou par mépris — de l’érudition. »

Pré­ci­sons que, si les dégâts pro­vo­qués par leur gri­gno­tage sont bien réels, ils ne sont pas authen­ti­que­ment bibliophages :

Ils « grignote[nt] les livres, dans le but sur­tout de construire leurs nids ; on a pu remar­quer leur pré­fé­rence pour les livres impri­més sur papier tendre. Si des étoffes en laine séjournent dans une biblio­thèque, les rats dévo­re­ront les dites étoffes plu­tôt que les livres » (R. Billoux).

Seul un écri­vain ima­gi­na­tif (Sam Savage, 2009) leur confère un vrai goût pour les livres :

« Dans les pre­miers temps, mon appé­tit était pri­mi­tif, orgiaque, impré­cis, goinfre — une bou­chée de Faulk­ner ou une bou­chée de Flau­bert, je ne fai­sais pas la dif­fé­rence —, mais il ne m’a pas fal­lu long­temps pour dis­cer­ner quelques nuances. J’ai tout d’abord remar­qué que chaque livre avait un goût propre — sucré, aigre, amer, doux, rance, salé, acide. »

Couverture de "Firmin. Autobiographie d’un grignoteur de livres", de Sam Savage, trad. Céline Leroy, Actes Sud, 2009.
Cou­ver­ture de Fir­min. Auto­bio­gra­phie d’un gri­gno­teur de livres, de Sam Savage, trad. Céline Leroy, Actes Sud, 2009.

Sources :

  • René Billoux, Ency­clo­pé­die chro­no­lo­gique des arts gra­phiques, l’auteur, 1943, p. 99.
  • Fran­çois Fer­tiault, « Bou­quins et rats. I. L’assaut », dans Les Amou­reux du livre. Son­nets d’un biblio­phile. Fan­tai­sies d’un biblio­mane. Com­man­de­ments du biblio­phile. Biblio­phi­lia­na. Notes et anec­dotes, Paris, Clau­din, 1877, p. 12.
  • Jean Mar­chand, S’en­suit la tierce épitre fort récréa­tive, assai­son­née à l’huyle et au vinaigre, ou il est traic­té de quelques enne­mis tres cruels des biblio­thèques et des biblio­thé­caires, Impri­me­rie Taf­fard, Bor­deaux, 1940.
  • Sam Savage, Fir­min. Auto­bio­gra­phie d’un gri­gno­teur de livres, trad. Céline Leroy, Actes Sud, 2009.

  1. Voir Expressio.fr et le Wik­tio­naire. ↩︎
  2. Caro­line Laf­font et Raphaële Mou­ren, « Les enne­mis du livre », Bul­le­tin des biblio­thèques de France (BBF), 2005, no 1, p. 54-63. ↩︎
  3. Voir « Para­sites du livre », Wiki­pé­dia. ↩︎
  4. « […] les emprun­teurs, les incons­cients, les manieurs de ciseaux, les col­lec­tion­neurs de vignettes, les achar­nés du gri­bouillage et les… ama­teurs eux-mêmes. » (Ber­trand Gali­mard Fla­vi­gny, Être biblio­phile. Petit guide pra­tique, Séguier, 2004, p. 190.) Sans comp­ter ceux qui brûlent les livres (voir Lucien X. Polas­tron, Livres en feu. His­toire de la des­truc­tion sans fin des biblio­thèques, éd. rev. et augm., « Folio essais », Folio, 2009). ↩︎