
Vous connaissez les rats de bibliothèque, ces personnes qui passent leur vie dans les livres1. (J’ai l’honneur d’en faire partie.)
« Ce surnom [leur] est donné parce que les rats fréquentent aussi les bibliothèques pour grignoter les livres » (R. Billoux, 1943). On les compte parmi les « ennemis du livre2 », avec la chaleur, l’humidité, certains insectes (vrillettes, poissons d’argent, psoques3…) et l’homme, bien sûr4.
Pour un bibliophile (F. Fertiault, 1877), c’est tout le contenu du livre qui profite au rat :
« Tout fier d’avoir grimpé sur la tête du livre, / C’est avec un entrain féroce qu’il se livre / À son grignotement, vrai gourmet, vrai glouton. // Quel régal ! De la marge et du texte il se gave. »

Selon un autre bibliophile (J. Marchand, 1940), les rats ne sont pas les plus dangereux des parasites du livre :
« Comme leur taille leur défend de percer des galeries dans le corps des volumes, ces rongeurs ne grignotent guère que les couvertures et les bords ; si les marges sont vastes, ils portent difficilement la dent jusqu’au texte : ne crois donc pas qu’ils s’abstiennent d’y toucher par respect — ou par mépris — de l’érudition. »
Précisons que, si les dégâts provoqués par leur grignotage sont bien réels, ils ne sont pas authentiquement bibliophages :
Ils « grignote[nt] les livres, dans le but surtout de construire leurs nids ; on a pu remarquer leur préférence pour les livres imprimés sur papier tendre. Si des étoffes en laine séjournent dans une bibliothèque, les rats dévoreront les dites étoffes plutôt que les livres » (R. Billoux).
Seul un écrivain imaginatif (Sam Savage, 2009) leur confère un vrai goût pour les livres :
« Dans les premiers temps, mon appétit était primitif, orgiaque, imprécis, goinfre — une bouchée de Faulkner ou une bouchée de Flaubert, je ne faisais pas la différence —, mais il ne m’a pas fallu longtemps pour discerner quelques nuances. J’ai tout d’abord remarqué que chaque livre avait un goût propre — sucré, aigre, amer, doux, rance, salé, acide. »

Sources :
- René Billoux, Encyclopédie chronologique des arts graphiques, l’auteur, 1943, p. 99.
- François Fertiault, « Bouquins et rats. I. L’assaut », dans Les Amoureux du livre. Sonnets d’un bibliophile. Fantaisies d’un bibliomane. Commandements du bibliophile. Bibliophiliana. Notes et anecdotes, Paris, Claudin, 1877, p. 12.
- Jean Marchand, S’ensuit la tierce épitre fort récréative, assaisonnée à l’huyle et au vinaigre, ou il est traicté de quelques ennemis tres cruels des bibliothèques et des bibliothécaires, Imprimerie Taffard, Bordeaux, 1940.
- Sam Savage, Firmin. Autobiographie d’un grignoteur de livres, trad. Céline Leroy, Actes Sud, 2009.
- Voir Expressio.fr et le Wiktionaire. ↩︎
- Caroline Laffont et Raphaële Mouren, « Les ennemis du livre », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2005, no 1, p. 54-63. ↩︎
- Voir « Parasites du livre », Wikipédia. ↩︎
- « […] les emprunteurs, les inconscients, les manieurs de ciseaux, les collectionneurs de vignettes, les acharnés du gribouillage et les… amateurs eux-mêmes. » (Bertrand Galimard Flavigny, Être bibliophile. Petit guide pratique, Séguier, 2004, p. 190.) Sans compter ceux qui brûlent les livres (voir Lucien X. Polastron, Livres en feu. Histoire de la destruction sans fin des bibliothèques, éd. rev. et augm., « Folio essais », Folio, 2009). ↩︎