Le Zwiebelfisch, une coquille d’un genre particulier

Ma consœur Bri­gitte Meyer m’a signa­lé l’exis­tence d’un terme inté­res­sant du voca­bu­laire typo­gra­phique alle­mand : Zwie­bel­fisch (nom mas­cu­lin). Ce mot, m’a-t-elle expli­qué, a été remis en vedette grâce à une chro­nique du même nom (2003-2012) dans le Spie­gel Online, où Bas­tian Sick, cor­rec­teur, tra­duc­teur et jour­na­liste, trai­tait des dif­fi­cul­tés de la langue alle­mande. Les six recueils de ces articles1 ont été des suc­cès de librai­rie (Sick est donc le Muriel Gil­bert local).

Dans le monde de l’im­pri­me­rie, Zwie­bel­fisch désigne une lettre à l’in­té­rieur d’un mot qui a été com­po­sée dans une autre police de carac­tères (pho­to ci-des­sous) ou un autre style d’é­cri­ture, par exemple un e gras dans un mot com­po­sé en épais­seur nor­male. Il s’a­git donc d’une coquille d’un genre par­ti­cu­lier. (Résul­tat d’une erreur de dis­tri­bu­tion, la coquille est, au sens strict, « une lettre à la place d’une autre, pro­ve­nant d’un cas­se­tin voi­sin, ou la même lettre mais appar­te­nant à une autre fonte ».)

Trois Zwie­bel­fische sou­li­gnés par l’im­pri­meur Mar­tin Z. Schrö­der sur son blog.

À l’é­poque du plomb, en fran­çais, on par­lait aus­si de lettre « d’un autre œil », c’est-à-dire, par rap­port à la fonte uti­li­sée dans l’épreuve, d’une lettre plus grosse ou plus petite, plus grasse ou plus maigre (voir Qu’est-ce que l’œil d’une lettre ?), mais il ne s’a­gis­sait pas spé­ci­fi­que­ment d’une dif­fé­rence de police d’é­cri­ture. Je ne connais pas de mot fran­çais propre à ce cas.

Dans la langue alle­mande cou­rante, Zwie­bel­fisch (« pois­son-oignon ») est un syno­nyme de Uke­lei, l’é­qui­valent de notre ablette, qui se mange en fri­ture. C’est sans doute sa faible valeur (celle de l’oi­gnon) qui lui a valu de ser­vir de nom pour un défaut de typo­gra­phie. On appe­lait même Zwie­bel­fi­sch­bude (« baraque de pois­sons-oignons ») un ate­lier de typo­gra­phie qui com­met­tait beau­coup d’erreurs.

Fri­ture d’a­blettes. © Comu­gne­ro Silvana/Fotolia.

Bien avant la chro­nique du Spie­gel Online, le mot a été employé comme titre d’une revue consa­crée à la typo­gra­phie, à l’art du livre et à la lit­té­ra­ture, qui a paru de 1909 à 1934, puis briè­ve­ment entre 1946 et 1948.

Der Zwie­bel­fisch, revue de typo­gra­phie et d’art du livre, cou­ver­ture de 1909. Source : Wiki­pé­dia.

Aujourd’­hui, le nom Zwie­bel­fisch est celui d’une petite mai­son d’é­di­tion à Ber­lin, d’un maga­zine de la Freie Hoch­schule für Gra­fik-Desi­gn, à Fri­bourg, et d’un bar de Char­lot­ten­burg, à Ber­lin, qui existe depuis plus de trente ans. On le séri­gra­phie même sur des vête­ments pour homme.


  1. Sous le titre géné­ral Der Dativ ist dem Geni­tiv sein Tod. ↩︎