Une correctrice d’ouvrages d’art chez Douglas Kennedy

J’ai une nou­velle invi­tée ! Amé­lie Chas­tang, bio­graphe et cor­rec­trice, m’a écrit à pro­pos du roman Une rela­tion dan­ge­reuse, de Dou­glas Ken­ne­dy, qu’elle venait de relire : elle avait redé­cou­vert que l’hé­roïne y cor­ri­geait des livres de musique, de ciné­ma et de beaux-arts. Autant qu’elle nous en fasse pro­fi­ter. Je lui ai donc pro­po­sé de prendre la plume.

Couverture du roman "Une relation dangereuse" de Douglas Kennedy, Belfond, 2003

Auteur qu’on ne pré­sente plus, Dou­glas Ken­ne­dy a écrit plus de trente livres, du roman au récit de voyage et à l’observation de son pays natal, les États-Unis. Je n’en cite­rai que quelques-uns comme L’Homme qui vou­lait vivre sa vieLe Désar­roi de Ned Allen ou À la pour­suite du bon­heur.

J’ai lu nombre de ses ouvrages et, si celui-ci était le deuxième de la liste, c’est qu’il est ancien : Une rela­tion dan­ge­reuse. Alors qu’une bonne cen­taine de livres attendent patiem­ment dans ma biblio­thèque que je les ouvre enfin, j’ai eu une envie irré­pres­sible de le relire, vingt ans après ma découverte.

J’avais le sou­ve­nir d’un livre angois­sant, poi­gnant, pal­pi­tant, mais je n’avais pas tout gar­dé en mémoire. Aus­si, quelle ne fut pas ma sur­prise de redé­cou­vrir que Sal­ly, la nar­ra­trice dont le mari lui a enle­vé leur fils alors qu’elle souf­frait d’une dépres­sion post-par­tum aigüe, embras­sait une car­rière de cor­rec­trice pour une mai­son d’édition spé­cia­li­sée dans les livres « tech­niques » de musique, de ciné­ma et d’autres arts.

Un rythme soutenu

Si je me suis deman­dé com­ment elle pou­vait tenir un tel rythme, res­ter concen­trée en reli­sant « trois pages par heure, deux fois quatre heures avec une pause de trente minutes au milieu » – la masse à cor­ri­ger est expri­mée en nombre de pages plu­tôt qu’en signes espaces com­prises, sans doute pour ne pas emmê­ler le lec­teur –, l’évocation du métier m’a sem­blé très juste.

La ques­tion de la cadence à tenir pour res­pec­ter des délais courts – Sal­ly doit pas­ser en revue plus de 1 500 pages pour son pre­mier contrat en free-lance – est abor­dée, tout comme le sou­ci du res­pect « des par­ti­cu­la­ri­tés de la langue anglaise telle qu’elle est pra­ti­quée en Grande-Bre­tagne » ain­si que la spé­ci­fi­ci­té tech­nique du guide, qui néces­site une connais­sance des codes appli­qués dans les cata­logues. Bien enten­du, en France, nous connais­sons les mêmes contraintes de res­pect de chartes, du lan­gage sou­hai­té par l’auteur, voire des régionalismes.

“J’apprends plein de choses”

Ce que j’ai trou­vé amu­sant – au milieu de la situa­tion ubuesque, effrayante que lui fait subir son mari –, c’est la réflexion de sa sœur, réflexion qui, il faut bien le dire, doit tra­ver­ser l’esprit de nos proches : « Ça doit te rendre folle de relire mot par mot tout ce four­bi de musi­co­logues […]. » Et elle de répondre : « Non, ça me plaît, je dois dire. Parce que j’apprends plein de choses […]. » De quoi ras­sa­sier sa curio­si­té de journaliste.

Dou­glas Ken­ne­dy glisse ici un pré­cieux rap­pel : la lec­ture que nous pra­ti­quons en tant que cor­rec­teur est en tout point dif­fé­rente de la lec­ture de loi­sir. Mais elle nous per­met de ren­for­cer notre culture géné­rale ou de réfor­mer nos idées.

La des­crip­tion du métier pra­ti­qué par Sal­ly, qui a inté­gré la mai­son d’édition sur recom­man­da­tion, n’apparaît qu’en page 464 de ma vieille ver­sion France Loi­sirs, qui en compte 596 ; elle n’est donc pas cen­trale dans l’intrigue, mais je laisse quelques sur­prises à celles et ceux qui vou­draient enta­mer la lec­ture de ce page-tur­ner dont on ne sort pas indemne.

Dou­glas Ken­ne­dy, Une rela­tion dan­ge­reuse, trad. par Ber­nard Cohen, éd. Bel­fond, 2003, 405 p. ; Pocket, 2005 [plu­sieurs rééd.], 533 p.