J’ai moi-même sur Paris doublé les crédits consacrés à la création de crèches en 1981 — Jacques Chirac
Le phénomène sur + nom de ville est ancien, comme le confirme Le Français correct, de Grevisse :
« La préposition sur se répand et tend à s’utiliser abusivement à la place d’autres prépositions telles que à et dans. […]
« À partir d’expressions comme sur le territoire (d’une ville, d’une région), on dit, dans la langue familière, Je travaille sur Paris — pour à Paris. — L’emploi de sur au lieu de à devant un nom de ville ou de région est usuel en Suisse romande depuis longtemps. Il se répand en France et en Belgique depuis la seconde moitié du xxe siècle. — Sur marque la position “en haut” ou “en dehors” : Il pleut sur Paris. — Par extension, sur prend le sens de “dans le voisinage immédiat, près”: Bar-sur-Aube (Petit Robert). — Boulogne-sur-Mer (Id.).»
Le récent Petit Bon Usage ajoute :
« […] D’origine populaire ou familière, des expressions telles que travailler sur Paris ou habiter sur Paris s’entendent de plus en plus dans les médias au lieu de travailler à Paris, près de Paris. Cette incorrection syntaxique est appelée solécisme. »
La question est abordée par la linguiste Marina Yaghello dans un livre1 que j’ai déjà cité dans un autre billet :
« Il est une autre tendance qui est encore davantage contestée par les personnes dont la conscience linguistique est chatouilleuse. Il s’agit de l’emploi de sur là où la norme imposerait à ou dans. Joseph Hanse écrit à ce sujet […] :
“Cet emploi de sur au lieu de à devant un nom de localité se répand dans la langue populaire ou familière.”
« Or, outre que sur remplace également dans, il me semble qu’il s’agit en l’occurrence d’un tout autre problème. Si nous insérons sur dans tout notre corpus de départ :
Je milite sur la banlieue / sur Paris / sur la région parisienne / sur la province / sur les facs/sur la fac / sur les lycées/sur le lycée.
les phrases prennent incontestablement un sens différent, quel que soit le jugement que nous pouvons porter en tant que locuteurs natifs sur leur degré d’acceptabilité.
« Tout comme dans, sur se combine avec tous les types de groupe nominal mais privilégie les groupes nominaux définis. Il permet ainsi la coordination avec ellipse :
à Paris et en banlieue devient
sur Paris et la banlieue.
« Mais il reste à définir sa singularité au regard du sens.
« Sur introduit la notion de territoire, de terrain d’action. Il est beaucoup plus compatible avec les processus qu’avec les verbes d’état ; on hésiterait à dire :
?J’habite sur Paris
alors qu’on dira facilement :
Je déménage sur Paris
ou
Je travaille sur Paris.
[N.B. : Comme nous l’avons vu plus haut, on n’hésite plus aujourd’hui. « Depuis, la construction s’est étendue à tout type de verbe : j’habite sur, je dors sur, je reste sur, etc. », écrit aussi Le Figaro en 2018.]
« Sur comporte ainsi une connotation de dynamisme. Avec des verbes de mouvement d’ailleurs, il se substitue facilement à vers, en direction de :
Je rentre sur Paris.
« Ce sont précisément les militants, les agents commerciaux, les techniciens de dépannage, habitués à penser en termes de répartition de territoire, de zone d’activité et de mobilité, qui semblent à l’origine de ce nouvel usage.
« Sur introduit donc un quatrième terme dans le système et par là même instaure un nouvel équilibre. C’est pourquoi son usage ne peut que s’étendre dans la mesure où il semble bel et bien répondre à un besoin de différenciation chez les locuteurs. »
L’Académie refuse le nouvel usage :
« La préposition sur ne peut traduire qu’une idée de position, de supériorité, de domination, et ne doit en aucun cas être employée à la place de à ou de en pour introduire un complément de lieu désignant une région, une ville et, plus généralement, le lieu où l’on se rend, où l’on se trouve. »
Ainsi que Larousse :
« Les véhicules se dirigeant vers Lille (et non *sur Lille). »
(Girodet donne un exemple équivalent.)
Le Robert ne s’exprime pas directement sur le sujet, mais emploie le moyen détourné de la citation :
« (fin Xe) (Avec un v. de mouvement) ➙ 1. vers. Fondre, foncer, se jeter sur qqn. Elle articule « qu’elle ne va pas sur Toulouse mais à Toulouse, qu’il est regrettable et curieux que l’on confonde ces prépositions de plus en plus souvent » (Échenoz).
(Dans le temps) Elle va sur ses vingt ans : elle va bientôt avoir vingt ans. »
On notera, au passage, que l’emploi de sur avec une indication de temps ne choque pas. Au contraire, dans ce cas, vers est rare : Frankie marchait vers ses neuf ans (G. Conchon).