L’orthographe française a commencé à être fixée au xviie siècle. L’Académie française est fondée en 1634 et la première édition de son dictionnaire paraît en 1694. C’est à la même période, en 1680, qu’est fondée la Comédie-Française, « pour fusionner les deux seules troupes parisiennes de l’époque, la troupe de l’hôtel Guénégaud (troupe de Molière) et celle de l’hôtel de Bourgogne1 ».
« […] on désigne une langue d’après l’un des écrivains les plus connus qui l’ont utilisée. Mais pas n’importe lequel : un auteur incontestable, mais un auteur assez ancien, dont la renommée est indiscutable2. »
« Pourquoi Molière ? L’expression se répand au xviiie siècle. Il est vrai que le théâtre de Molière a été le plus joué dans les cours d’Europe, à l’époque où le français était devenu la langue des élites européennes. En même temps, pour La Bruyère, Fénelon, Vauvenargues et même… Boileau, Molière est un auteur qui bâcle. Mais peut-être est-ce parce que le directeur de troupe, le comédien et l’homme de cour que fut Molière n’avait pas le temps de lécher ses textes qu’il a pu s’affranchir de ce qui pose et pèse chez les puristes. La langue de Molière n’est pas celle d’un écrivain mais avant tout celle qui convient pour des personnages de comédie auxquels, le premier, il donna licence de s’exprimer en prose, fût-ce en prose cadencée. « Molière est-il fou ? » aurait dit un duc dont Grimarest, un des premiers biographes de Molière, se garde de révéler l’identité, « nous prend-il pour des benêts de nous faire essuyer cinq actes en prose ? A-t-on jamais vu plus d’extravagance ? » L’extravagant est devenu classique, sa langue une norme, parce qu’elle brise la monotonie induite de l’usage exclusif de l’alexandrin.
« En général, ses personnages parlent la langue de leur condition, celle de ces paysans de comédie articulant un patois de fantaisie, plus rarement un parler régional authentique comme dans Monsieur de Pourceaugnac où une Picarde et une Languedocienne se disputent le héros. Ils parlent le jargon de leur fonction – médecins, apothicaires, philosophes – mêlant français ampoulé et latin de cuisine, avatars de l’éternelle figure du pédant. Celle-là même qui, de nos jours, a élu domicile dans les médias, substituant au jargon des médecins ou des avocats d’antan ce sabir technocratique, lesté d’emprunts à l’anglais, qui fait le charme ridicule de nos businessmen. Les charges de Molière se dirigeaient contre l’affectation des précieux ou des dévots. Son génie a été de faire rire les « honnêtes gens » en stigmatisant les abus et préciosités de leur langage. La langue de Molière est efficace et vivante parce que véridique et imagée. Un contemporain l’accuse même de dissimuler des tablettes dans son manteau pour relever ce qu’il entendait. Toutes les couches d’une société ou presque se retrouvent croquées dans leur manière de dire : des petits marquis de cour singeant les grands, des bourgeois qui, à l’instar du Cléante de L’avare, « donnent furieusement dans le marquis », jusqu’aux pecques de province. On comprend pourquoi on a pu dire que Molière n’avait pas de style propre et en même temps qu’il incarnait la langue française. Il vise juste, tel est le secret de son génie ad majorem linguae gloriam. »
Jean Montenot , « La langue de Molière », Lire, 1er février 2007.