Choisir entre “à l’attention de” et “à l’intention de”

Il est par­fois dif­fi­cile de tran­cher entre à l’in­ten­tion de et à l’at­ten­tion de, car ces locu­tions paro­ny­miques « servent toutes deux à intro­duire le ou la des­ti­na­taire de quelque chose1 ».

Pour­tant, à lire la plu­part des sources, cela ne pose­rait pas de pro­blème : à l’at­ten­tion de ne s’emploierait que dans l’a­dresse d’une lettre2, à l’ex­clu­sion de à l’in­ten­tion de3, qui s’emploierait par­tout ailleurs.

Tout cor­rec­teur sait ou sent que ce n’est pas si simple. « […] dans le contexte de la cor­res­pon­dance, quand il est ques­tion de mes­sages, de lettres, la locu­tion à l’at­ten­tion de est régu­liè­re­ment uti­li­sée en rem­pla­ce­ment de à l’in­ten­tion de4 ».

« La lettre que j’a­vais alors rédi­gée à son atten­tion » (Yann Moix, 2002), « [Il] rédi­gea [un mémoire] à l’at­ten­tion de son par­rain » (Renaud Camus, 2002), « Elle rédi­gea un billet à son atten­tion » (Chris­tine Orban, 2012), « Les réponses qu’il rédige à son atten­tion » (Vir­gi­nie Des­pentes, 2015), « Une lettre avait été dépo­sée à son atten­tion » (Vincent Engel, 2016), « Une petite enve­loppe avec un mot rédi­gé à ton atten­tion » (Marc Levy, 2012), « Un rap­port sur la qua­li­té de l’air a été rédi­gé à l’at­ten­tion du Pre­mier ministre » (Daniel Lacotte, 2019), « Ce mes­sage a été lais­sé à l’at­ten­tion de… » (Julien Sou­lié, 2021)5.

Est-ce à rai­son ? Ten­tons de cla­ri­fier la question.

Dire et écrire pour quelqu’un

Ce qu’on dit (déclare, exprime, remarque, etc.), ce qu’on écrit est bien à l’in­ten­tion de quel­qu’un, c’est-à-dire pour lui : ça lui est destiné.

On écrit un mémoire à l’in­ten­tion d’un jury ou d’une socié­té savante, on rédige un dos­sier à l’in­ten­tion des par­le­men­taires, on annote une par­ti­tion à l’in­ten­tion des musi­ciens, on délivre une ordon­nance à l’in­ten­tion du phar­ma­cien ou du patient.

Hec­tor, dit le taver­nier, n’as-tu point honte et ver­gogne de venir ain­si trou­bler mon réfec­toire ? Je vais te don­ner du bâton. C’est mon ser­vi­teur pale­fre­nier, ajou­ta-t-il à l’in­ten­tion du duc — R. QUENEAU, Les Fleurs bleues, p. 33.

Le Géné­ral, au mot de « Madame », pous­sant à l’in­ten­tion de Pety­pon une petite excla­ma­tion de triomphe. Aha ! — G. FEYDEAU, La Dame de chez Maxim’s, I, 12, 1914, p. 18.

Debout toutes deux […], elles me consi­dé­rèrent. La robe jaune, au bout d’un temps de réflexion, jacas­sa quelque chose à l’in­ten­tion de la robe verte — FARRÈRE, L’Homme qui assas­si­na, 1907, p. 259.

Et puis, ne m’ap­pe­lez pas Pédro-sur­plus. Ça m’a­gace. C’est un blase que j’ai inven­té sur l’ins­tant, comme ça, à l’in­ten­tion de Gabrielle […] — R. QUENEAU, Zazie dans le métro, Folio, p. 159.

Agir pour ou contre quelqu’un

De même, on consti­tue une rente ou une dot, on achète un cadeau, on pré­pare une fête… à l’in­ten­tion d’une ou plu­sieurs per­sonnes (pour que ces actions leur soient béné­fiques, pro­fi­tables ; pour leur faire hon­neur, leur rendre hommage).

J’ai pu ce matin relire une par­tie de Mme de Sévi­gné, à l’in­ten­tion de mes jeunes élèves fémi­nins — AMIEL, Jour­nal, 1866, p. 539.

On crée une œuvre, on publie un jour­nal, on dif­fuse une émis­sion de radio ou de télé­vi­sion, on orga­nise un grand évè­ne­ment… à l’in­ten­tion d’un public.

[…] durant une semaine et à l’in­ten­tion de plus de 6 000 can­cé­ro­logues repré­sen­tant 63 nations, 2 000 rap­por­teurs firent écla­ter simul­ta­né­ment leurs tra­vaux — Science et Vie, janv. 1967.

On prie, on boit ou on répand un liquide (liba­tion), on immole un ani­mal (sacri­fice) à l’in­ten­tion d’une divi­ni­té ; on quête, on fait une col­lecte à l’in­ten­tion de sinis­trés ; on fait dire une messe à l’in­ten­tion d’un défunt, d’une famille, des âmes du pur­ga­toire, etc.

On pro­fère une menace ou on pré­pare un mau­vais coup à l’in­ten­tion d’un rival, d’un enne­mi :

Le Dee­rhound est mouillé près des grands cui­ras­sés turcs, qui sont pos­tés là comme des chiens de garde, à l’in­ten­tion de la Rus­sie — LOTI, Aziya­dé, Azraël, xxix, p. 114.

Depuis long­temps, il mijo­tait en soi, à l’in­ten­tion du père Soupe, le plan d’une blague gigan­tesque — COURTELINE, Mes­sieurs les ronds-de-cuir, II, 2.

Bref, ce qu’on fait et ce qu’on dit à l’in­ten­tion de quel­qu’un, on le lui des­tine, on le lui… adresse. Un des syno­nymes de à l’in­ten­tion de est, d’ailleurs, le clas­sique à l’a­dresse de.

Écrire à son intention… pour retenir son attention

Le des­ti­na­taire, on espère aus­si, par­fois, atti­rer son atten­tion6. De même qu’un coup de klaxon à l’in­ten­tion d’un ami sert à l’a­ver­tir, de même qu’une offrande à un dieu sol­li­cite ses faveurs, on peut écrire un texte pour cette rai­son (à cette inten­tion — on n’en sort pas). Quand des lob­byistes rédigent un dos­sier à l’in­ten­tion des par­le­men­taires, ils ont l’in­ten­tion (et l’es­poir) d’ob­te­nir leur atten­tion (et leurs votes).

On com­prend mieux que cer­tains scrip­teurs puissent confondre les deux mots, y com­pris hors du domaine de la cor­res­pon­dance : leur inten­tion se relève dans l’énoncé.

Smack, a refait l’a­vo­cate à l’at­ten­tion de son amour, oh toi mon aimé que j’aime, smack, smack […] — Vincent RAVALEC, Vol de sucettes, p. 88.

À l’in­té­rieur du TLFi lui-même, on note une contra­dic­tion : entre la défi­ni­tion de décla­ra­tion (« P. ext. Tout ce qui peut s’é­crire ou se dire en public ou à l’at­ten­tion d’un public ») et celle d’adresse (« Vieilli. Décla­ra­tion for­mu­lée à l’in­ten­tion d’un des­ti­na­taire. En par­ti­cu­lier, dans le domaine de la politique »).

Gagner l’attention d’autrui

À l’at­ten­tion de n’est pas seule­ment une « men­tion uti­li­sée en tête d’une lettre, pour pré­ci­ser son des­ti­na­taire (Grand Robert) ou, « dans la langue admi­nis­tra­tive, [… une] for­mule uti­li­sée pour dési­gner, par­mi le per­son­nel d’une admi­nis­tra­tion, le des­ti­na­taire d’une note, d’une lettre, etc. » (TLFi).

On appelle à l’at­ten­tion de quel­qu’un7, on (se) signale à son atten­tion8, on désigne (quelqu’un ou quelque chose) à l’at­ten­tion de quelqu’un9, on (s’)impose à son atten­tion10, on (se) pro­pose ou on porte à son attention :

Com­bien de fois la clar­té des étoiles, le bruit des vagues de la mer, le silence de l’heure qui pré­cède l’aube viennent-ils vai­ne­ment se pro­po­ser à l’at­ten­tion des hommes ? Ne pas accor­der d’at­ten­tion à la beau­té du monde est […] un crime d’in­gra­ti­tude — S. WEIL, Écrits de Mar­seille11.

Il avait pou­voir de por­ter à l’at­ten­tion de ce conseil toute affaire qui, à son avis, pou­vait mena­cer la paix et la sécu­ri­té inter­na­tio­nales — Charte Nations unies, 1946.

Inver­se­ment, on échappe à l’at­ten­tion de quelqu’un ou on s’y sous­trait.

Il faut bien admettre qu’entre rédi­ger un docu­ment à l’in­ten­tion de quel­qu’un et en por­ter le conte­nu à son atten­tion, la fron­tière est mince et donc aisé­ment franchie.


Les cita­tions sont extraites du Grand Robert et du TLFi, sauf men­tion contraire.

  1. Banque de dépan­nage lin­guis­tique, « Sens et emploi de à l’attention de et de à l’intention de ». ↩︎
  2. « On signale ain­si que le docu­ment est sou­mis, pro­po­sé à l’atten­tion, à l’exa­men atten­tif de la per­sonne men­tion­née » (Giro­det). Voir aus­si l’avis de l’A­ca­dé­mie. ↩︎
  3. On peut se deman­der pour­quoi il est consi­dé­ré comme fau­tif d’employer à l’in­ten­tion de dans la vedette d’une lettre (puisque celle-ci a bien un des­ti­na­taire). C’est ain­si. ↩︎
  4. Cédrick Fai­ron et Anne-Claire Simon, Le Petit Bon Usage de la langue fran­çaise, De Boeck, 2018, p. 81. ↩︎
  5. Exemples cités par le blog Par­ler fran­çais, « Attention/intention », s.d. ↩︎
  6. C’est-à-dire, selon les cas, son appli­ca­tion, sa concen­tra­tion. sa curio­si­té, son inté­rêt, etc. ↩︎
  7. « Aver­tis­se­ment : Appel à l’at­ten­tion de quel­qu’un pour le gar­der d’une chose fâcheuse, d’un dan­ger ; mise en garde (contre qqc.) » (TLFi). ↩︎
  8. « Sou­li­gner : Signa­ler quelque chose à l’at­ten­tion de façon insis­tante » (TLFi). ↩︎
  9. « Recom­man­der : Dési­gner quel­qu’un à l’at­ten­tion, à la bien­veillance, aux soins de quel­qu’un. » (TLFi). ↩︎
  10. « L’im­pres­sion­nisme, bon ou mau­vais, s’é­tait impo­sé à l’at­ten­tion du public (MAUCLAIR, Maîtres impres­sionn., 1923, p. 157) — TLFi, s.v. impo­ser. ↩︎
  11. Simone Weil, « L’a­mour de Dieu et le mal­heur », dans Écrits de Mar­seille, dans Œuvres com­plètes, t. IV, vol. 1, Gal­li­mard, 2008, p. 373-374. ↩︎